Aujourd’hui il y a prescription et on peut admettre que les Strokes n’ont jamais été excitants pour un sou. Is This It avait impressionné son monde par sa production un peu spécifique mais il faut bien dire que l’album sonne comme deux boîtes de conserve reliées par de la ficelle à poulet. Si certaines chansons se tiennent, l’ensemble est chétif et gris comme un jour de pluie. Et puis les Strokes ont toujours eu l’air de s’en foutre royalement, de leur musique comme de leurs concerts. Je veux bien concéder que ce détachement à toute épreuve participe du cool du groupe aux couleurs du New York javellisé de Rudolph Giuliani mais il n’y a rien de séduisant là-dedans et on est en droit de préférer des types qui donnent l’impression de faire ça pour de vrai, dans tout ce que ça a de ridicule aussi (au hasard, les Guns N’ Roses). Contrairement à ce que clamait la presse de l’époque, tout le monde n’attendait pas un retour en grâce du rock garage, System of a Down et Tool pétaient les scores en 2001 et c’était très bien comme ça.
Ceci étant et pour éviter de faire de Pause Pipi un énième blog de trentenaire rageux, les Strokes ont fort heureusement poursuivi leur parcours jusqu’en 2006 avec First Impressions Of Earth. C’était la première fois que ce groupe me faisait un peu d’effet. La production rachitique de la doublette initiale Is This It/Room On Fire avait disparu, les chansons respiraient un peu et la voix de Julian Casablancas donnait enfin sa pleine mesure (même s’il avait toujours l’air de s’en foutre). Aujourd’hui encore, des choses comme “Heart In A Cage”, “Red Light” ou “Ize Of The World” donnent envie de se relever la nuit. J’ai même de l’affection pour “Ask Me Anything”, rêverie rétro-futuriste perdue au milieu de ce disque trop long.
Et puis vint le concert aux Eurockéennes en 2006, pas vu sur place à l’époque mais YouTube est votre ami. Il fut aussi le mien pour découvrir ce qui est, à mon sens, ce que les Strokes ont fait de mieux. La vidéo est dégueu, le jeu de lumières flashy et aléatoire ne permet pas de voir grand-chose dans la pénombre mais pas grave, il n’y a rien à voir puisque les Strokes n’ont jamais paru très impliqués sur scène. La setlist est en revanche parfaite car elle permet d’apprécier les chansons des deux premiers albums dans des versions dé-corsetées. Même si la musique est toujours aussi rectiligne, le contexte la fait gagner en amplitude, en densité et en lourdeur (ce qui a été reproché à First Impressions Of Earth). Tous les défauts habituels sont là : les fins de morceaux expédiées n’importe comment, les solos sans structure, mais tout se tient bizarrement. Vous avez beau écouter ça derrière un écran, le groupe joue incroyablement fort. Sorti de son rôle de cocker neurasthénique, Casablancas donne tout en chantant avec conviction un tissu de conneries. Un compte-rendu de concert de l’époque paru dans Rock & Folk décrivait ses “gargouillis nicotinés” et je n’ai pas trouvé mieux. Chaque moment où sa prestation s’éloigne un peu du script balisé engendre un plaisir décuplé. Il s’époumone et ça devient fatigant à la longue mais jamais ses croassements n’ont paru aussi viscéraux. Ce concert c’est leur chef-d’œuvre contrarié.
Après ça les Strokes ont cessé de prétendre en avoir quelque chose à foutre et c’est paradoxalement à cet instant qu’ils sont devenus… funs, ce qu’ils n’avaient jamais été. D’escapades solos en interviews langue de bois cryptiques, ils ont fini par publier un quatrième album où on se marrait enfin un peu avec ce Angles moche et bien branlé. Certes on riait jaune dans une fausse joie colorée au fluo dont personne n’était dupe, aussi tristement euphorique qu’un client de strip-club éclairé aux néons. Inside Rock en avait très bien parlé à l’époque : “La musique est à l’image de la pochette : criarde, moche, ringarde, mais carrée et géométrique et bien rangée“. Pour cette fois le son du disque ne reflétait pas l’ennui d’une morne journée de travail mais plutôt l’amertume accumulée entre les musiciens. Les couleurs aveuglantes juraient autant que les différentes parties qui composaient ces chansons assemblées avec peine, pour un résultat tout de même plus excitant que l’ensemble de Room On Fire.
Aujourd’hui plus personne n’attend les Strokes au tournant et c’est sans doute mieux comme cela. Casablancas s’éclate avec ses copains de The Voidz, une sorte de Spinal Tap 2.0 avec coupes de douilles dégueus et blousons de cuir cloutés. De temps en temps il retrouve les Strokes pour les réanimer, être en TT sur Twitter pendant 65 minutes et repartir. Ces gens n’ont plus très envie de jouer ensemble mais remettent le couvert régulièrement sans qu’on sache trop pourquoi, comme un retour à la tristesse ennuyée du premier album, la boucle est bouclée.