Il est debout sous une pluie battante et ininterrompue, et il s’époumone depuis près d’une heure devant des gens trempés mais captivés. 12 degrés en pleine journée, tu parles d’un mois d’août. Cela dit, le froid humide colle bien à cette musique et il doit se sentir moins seul en nous voyant depuis la scène, toutes et tous agglutiné·e·s sous le chapiteau (une bonne idée ça) ou des abris de fortune. La techno synthwave c’est fait pour la fin d’automne et les ténèbres précoces de novembre, quand les lumières des phares éclairent les rues détrempées dès 17h30.
Voilà pour la rencontre avec Das Kinn, un après-midi d’août sur la scène Oasis 3000 du Micro Festival liégeois où le musicien francfortois se dresse et s’agite seul à boxer ses instrus. Difficile d’échapper au lexique de la baston pour parler de cette musique où tout a l’air percussif, des uppercuts de synthé aux vocaux aboyés façon punk oi !. On en revient vite au corps, assez rare dans un genre auquel on a parfois reproché une forme de désincarnation (sur scène en tout cas), et ça donne envie d’inverser les termes pour parler de Body Electronic Music quand il s’agit de Das Kinn. Sur “Das Kinn” justement, le musicien jappe comme un rottweiler lâché dans une after. “Stirn reicht ins Genick” invite à rentrer dans la cage pour se faire concasser le crâne en se cognant les pecs. Tout au long de “Die Fichte” c’est comme si le bleu angeleno de Michael Mann excitait nos envies de sang et nos pulsions de carnage. Car enfin, qu’y a-t-il d’autre à faire le soir venu que de sortir pour se castagner ? (Pas sûr d’emporter l’adhésion populaire avec ça)
Selon les propres dires de Das Kinn, son nom signifie “La Mâchoire”, ce qui fait, en vrai, un bon pseudonyme pour un tueur à gages. Das Kinn sera une star le jour où les teufeur·se·s organiseront des combats de chiens dans les clubs berlinois. Quand il daigne vaguement calmer le jeu, son “Menschen 1987” renvoie aux instrumentaux composés par Eno et Bowie pour la face B de Low, la musique des extraterrestres de 1977. Le télescopage post punk entre deux époques suscite une étrangeté rétro qui ouvre la porte sur un avenir imaginé par d’autres il y a longtemps. Si dans ce rétro vous apercevez au loin la pente glissante de la mélasse pour fans de Stranger Things, c’est qu’elle est bien là. La preuve: ces foutu·e·s hipsters sortent leur musique au format K7. Est-ce grâce à sa rigueur post punk mêlée à beaucoup d’autres genres ou au fait qu’il n’est pas du tout nostalgique, toujours est-il que Das Kinn évite l’écueil du matelas de références confortables et reste percutant.
Son dernier EP Die Kanten est paru cette année en faisant un pas de côté vers une musique un peu plus policée, toutes proportions gardées. Difficile de lui en vouloir quand il étend le champ de ses propres possibles mais j’ai tendance à croire qu’il est meilleur dans quelque chose de plus brut. Vous connaissez en tout cas désormais la B.O. de votre prochain fight club.