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EXAG’ Records: l’underground est un sport collectif (pt.1)

Appelez-ça de la déformation professionnelle, toujours est-il que lorsqu’il s’agit d’aborder le(s) rôle(s) d’un label de musique à l’heure actuelle, j’ai d’abord eu envie de savoir comment on y travaille. Pourquoi produire des disques en 2024 ? Avec quels moyens ? Par qui, avec qui et pour qui ? Au cours de ce long entretien Greg Noël, label manager d’EXAG’ Records basé à Bruxelles, apporte des réponses plus que stimulantes quant à savoir ce que des artistes peuvent attendre d’un label ou comment ouvrir de nouveaux lieux musicaux dans un espace urbain où la place est rare et chère sans jouer le jeu de la gentrification. Certaines grandes lignes du Manifeste Travail de Julie Battilana, Isabelle Ferreras et Dominique Méda semblent trouver une incarnation dans les manières de traviller chez EXAG’ Records: démarchandiser un peu le travail en étant porté à bout de bras par des bénévoles et aller vers une forme de démocratisation du travail en misant sur le collectif.

Dans cette première partie de l’entretien, Greg explique comment on sort un disque chez EXAG’ Records et revient sur les débuts du label en 2015.

Pour commencer, comment est-ce que vous faites pour sortir un album sur EXAG’ Records ?

Greg Noël, label manager d’EXAG’ Records: On n’a pas un modèle qu’on impose à tout le monde donc c’est vraiment du cas par cas parce qu’on ne souhaite pas simplement sortir un disque pour sortir un disque. Une fois qu’on a rencontré le groupe et qu’on a décidé de travailler ensemble, on regarde en fonction des volontés de l’artiste :  qu’est-ce qu’on a envie de faire ensemble, sur quel territoire on a envie de travailler, quels endroits pourraient éventuellement être visés en priorité parce que le groupe y a déjà un agent de booking… Je pense qu’il faut rester un peu humble et admettre qu’on n’a pas une force de frappe qui nous permet de toucher le monde entier. Même si à l’heure du digital tu peux être diffusé à Taïwan, ce n’est pas pour autant que tu vas avoir des Taïwanais qui vont tomber sur ton disque. Il y a donc un énorme travail à faire où promotion et distribution sont étroitement liées. Les questions de départ vont permettre de définir la stratégie pour sortir le disque.

Le travail de production en amont est généralement effectué par l’artiste, chez EXAG’ on reçoit les masters finis et on fait de la licence. On tourne aujourd’hui entre sept et neuf sorties de disques par an, si on les produisait de A à Z (studio, mix, mastering) on devrait réduire à trois ou quatre sorties par an pour des raisons budgétaires. On soutient également les artistes concernant les guidelines à respecter auprès de l’usine, d’autant qu’on a aujourd’hui un partenariat avec un distributeur qui a sa propre usine de production et cette centralisation chez un intervenant facilite les choses tout en réduisant les délais de production, de diffusion et de mise en distribution. Ici notre partenaire produit les disques, on lui dit combien part en distribution, le reste ça vient chez nous et on redispatche chez les artistes. Après on s’occupe aussi des aspects juridiques avec les enregistrements à la SABAM, les droits de reproduction mécanique, etc. en fonction des volontés des artistes.

On a un distributeur européen qui s’occupe de tous les magasins de cette zone, indépendants comme grosses chaînes de distribution type Fnac, avec des sous-traitant par pays. On peut donc décider de se concentrer sur un pays à l’occasion de la sortie d’un disque pour lequel on sait qu’il existe une communauté de fans qui ont envie de se le procurer sur place. En ce moment on travaille beaucoup avec Cargo sur base de liens noués à l’occasion, par exemple, d’éditions limitées qu’on a réalisées exclusivement pour les magasins Rough Trade parce qu’on voyait qu’il y avait un intérêt pour l’artiste et pour les fans de faire quelque chose de spécial sur ce territoire. Si on prend le territoire allemand, Cargo Germany a un réseau de distribution dans le pays qui nous permet d’y être présents. Ils font aussi du mailing pour prévenir tous les magasins lorsqu’un disque sort et si tu t’y prends à l’avance, les magasins indépendants savent que ton disque arrive et quand ils le reçoivent ils vont le mettre en avant. À l’inverse, si tu fais ça à l’arrache ton disque se perd parmi les milliers d’autres sorties. Ça demande un peu d’organisation et le plus important est d’avoir un bon rétroplanning qui te permet de ne pas rater tes échéances pour organiser une bonne promotion.

Comment le label a-t-il débuté ?

Le label est né en 2015, à l’époque je jouais dans le groupe Moaning Cities et quand j’ai quitté le groupe je voulais continuer à m’investir autrement qu’en tant que musicien. J’avais envie d’agir pour changer et améliorer les choses, encadrer et accompagner tous·tes ces musicien·ne·s qui essayent de faire quelque chose de leur projet. Le plus dur au début a été de rencontrer les personnes et d’expliquer le projet du label pour gagner la confiance des premiers artistes. Et après tu te lances, un premier groupe, un deuxième groupe, un troisième groupe.

Qui était la première référence, la première signature du label ?

Helicon, un groupe écossais de psyché assez lourd, c’était leur premier EP. Ce sont eux qui m’ont fait confiance au tout début. À l’époque je débarquais dans ce milieu, je ne savais pas comment on produisait, je ne connaissais pas toutes les usines. Donc voilà, tu avances et tu te casses un peu la gueule à certains endroits, tu te foires un peu dans ton rétroplanning mais ça m’a amené à beaucoup mieux gérer toutes les sorties de disques aujourd’hui. C’est en faisant toutes ces erreurs et tous ces apprentissages que maintenant, après dix ans, le truc est plus ou moins cadenassé comme il faut. Helicon c’était vraiment une super rencontre et on les a ensuite fait jouer en Belgique au Stellar Swamp, un festival de psyché que Valérian a créé et a organisé (membre de Moaning Cities à l’époque et de Phoenician Drive aujourd’hui). Au début, le focus était fort sur les groupes étrangers avec l’envie de leur fournir une sorte de camp de base pour leurs tournées européennes : distribution des disques en Europe, aide dans la promotion, mise en contact pour leurs tournées, appui logistique, etc. Ensuite on a développé une volonté de faire aussi un focus sur les artistes belges et d’utiliser ce réseau pour exporter les groupes belges vers l’Europe et l’internationale.

Et si on revient au début de l’entretien, tu me disais que la première étape c’est quand même de trouver les groupes. Comment se passe ce travail de prospection ?

Au départ c’était pas mal d’heures d’écoute et de recherche sur bandcamp. Dès que j’avais un coup de cœur, je contactais l’artiste et soit je tombais au bon moment où il venait de finir un album, soit au mauvais parce qu’il avait déjà signé quelque chose avec un autre label. On ne faisait pas trop attention aux détails qui, à mes yeux, sont fort importants d’aujourd’hui : qui est l’entourage de l’artiste, est-ce qu’il a déjà une structure de booking, est-ce qu’il y a vraiment une volonté de monter un projet et de le mener sur le long terme, etc.

Aujourd’hui on reçoit énormément de demandes émanant de groupes qui ont produit des EPs ou des albums mais on fonctionne toujours au coup de cœur. On reçoit beaucoup de projets et on en découvre aussi beaucoup de notre côté, ce qui fait que la sélection devient plus dure. Mais on garde notre logique du coup de cœur à l’écoute. Pour ma part j’habite un peu en dehors de Bruxelles avec un trajet de quarante minutes à vélo pour rentrer chez moi. Ça constitue un espace-temps idéal pour écouter un disque ou une démo pendant un moment où je ne suis concentré que sur ça. Quand je trouve quelque chose de chouette, je l’envoie sur le groupe WhatsApp du label pour demander leur avis aux autres gars. Si c’est vraiment un gros coup de cœur et qu’il est hors de question que je le laisse passer, je fonce.

Qui travaille pour le label, de manière bénévole ou rémunérée ?

Personne n’est salarié dans le label même si à l’heure actuelle on pourrait peut-être dégager un mi-temps, ce qui reste bien trop précaire et insuffisant pour assurer la gestion quotidienne d’un label qui nécessiterait deux temps pleins minimum. Tout le monde est donc bénévole. Nico et moi gérons le quotidien avec un focus pour Nico sur la distribution digitale. Kevin s’occupe du volet administratif sachant qu’on aide notamment les groupes à monter des dossiers en vue d’obtenir des subsides. Mathieu est la plume du label, il écrit les communiqués de presse, les newsletters, etc.

On lance aussi cette année la partie booking du label pour les artistes qui en font partie. On ne se considère pas juste comme une maison de disques, on voit vraiment EXAG’ Records comme de l’accompagnement artistique et du développement de projet parce qu’un groupe n’a pas juste besoin d’un label au moment de sortir le disque. La sortie du disque n’est qu’une première étape. On considère qu’on fait du management mais sans être un manager dédié à un artiste, ce serait plutôt du management global. C’est Hector, qui avait commencé par un stage chez nous, qui va se lancer dans l’aventure du booking pour les groupes EXAG’.

Valérian est sur la gestion d’événements et a monté avec Valentino le projet B.U.N.K. (pour Brussels Ultimate Noise Klub).

Suite de l’entretien à venir très bientôt… En attendant EXAG’ Records se trouve ici et ici.