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Bonus track: cette fois où j’ai presque parlé de Live Through This

Pour faire suite à l’article précédent, évidemment que j’aurais voulu faire en sorte qu’un papier à propos de Hole porte sur Live Through This plutôt que sur Celebrity Skin. Rien de bien original ici, le deuxième album du groupe demeure le grand-œuvre de Hole, celui qui restera dans les mémoires individuelles et collectives comme un accomplissement difficilement contestable. En découle que tout le monde a déjà écrit sur ce disque pendant les trente années qui ont passé depuis sa sortie et c’est peu de dire que j’arrive après la bataille, d’où les hésitations à faire un papier dessus.

J’aurais aimé pourtant, avoir quelque chose à ajouter, parce qu’aussi cheesy que ça puisse sonner à l’heure des playlists d’humeur, Live Through This est un disque qui m’a sauvé la vie. J’imagine que c’est avant tout une question de timing et donc de résonance avec des évènements de la vraie vie véritable puisqu’à l’époque de sa découverte je ne suis plus un adolescent mais apparemment pas encore un adulte non plus puisque je viens d’arriver en Enfer à l’occasion d’une rupture amoureuse. Même le chaos le plus romantique peut se fracasser sur le mur en métal plein de pisse de la réalité. A la suite de cela et au gré de pérégrinations hasardeuses sur YouTube, je tombe sur les Distillers qui jouent “The Hunger” sur la scène du festival de Reading en 2004 et la fêlure maîtrisée du cri de Brody Dalle ouvre inopinément une brèche vers Live Through This de Hole, un album jamais vraiment écouté précisément jusqu’alors. Un peu comme par surprise ou par alignement cosmique, il se trouve que ce disque sorti quelques jours après le suicide de Kurt Cobain était ce qui correspondait le mieux en janvier 2018 à l’état émotionnel d’un mec qui avait cinq ans à l’époque des faits précités.

Le plus étonnant était peut-être de prendre le parti, non pas du mec qui se suicide mais de la femme qui (sur)vit, à rebours de la curiosité morbide habituelle poussant à aller voir du côté du marasme total. Mais pas cette fois ou alors pas tout de suite. Le titre du disque annonce d’ailleurs bien la couleur et Live Through This propose, face au monceau de douleurs auquel peut parfois se résumer l’expérience humaine, de ne pas renoncer. Il n’apaise pas les tourments mais intensifie leur âpreté, il rend les blessures plus douloureuses encore pour pouvoir espérer, un jour, passer à autre chose (comme du bouddhisme à la sauce MTV en somme). Sans être encore en mesure d’imaginer un futur, Live Through This contient suffisamment de rage comme pulsion de vie pour aider à s’extirper de situations aux airs de Terre dévastée et de relations mortifères. En écho à de saines colères parfois impossibles à identifier ou à exprimer, il y a Courtney Love qui rugit pour celles et ceux qui n’y parviennent pas.

Il y a sans doute quelque chose d’étrange voire d’étranger à ce que moi, homme hétéro cisgenre, décèle des vibrations qui entrent en résonance avec mon vécu dans un album explicitement élaboré depuis un point de vue de femme. Sans doute Live Through This est-il suffisamment accessible tout en traçant des lignes de démarcation identifiables pour se montrer hospitalier envers tout le monde mais pas n’importe qui (comme toujours avec la meilleure pop). Plus surprenant encore, j’aime profondément ce disque parce qu’il est l’un des rares albums de rock à aborder frontalement la thématique de la maternité. Le thème est souvent considéré avec distance dans le rock, depuis un point de vue teinté de béatitude assez plate (Carole King) ou d’horreur affectée (Siouxsie and the Banshees). En même temps que Live Through This les premiers enfants sont arrivés dans mon entourage avec baby-sitting à la clé (belle preuve de confiance et d’inconscience) et sans même vouloir d’enfant, prendre ainsi part à ces aventures, c’était vertigineux. Courtney Love prend la maternité pour en faire un sujet pour un groupe de rock et l’aborde avec une férocité qui subvertit les attentes classiques vis-à-vis des mères. A ce titre, il n’y a pas grand-chose dans l’Histoire de la musique populaire qui puisse égaler la puissance brute et affirmative du “fuck you !” que Courtney Love lance au cœur du titre “I Think That I Would Die” (écrite en lien avec la perte temporaire de la garde de sa fille).

Découvrir un album des nineties dans les années 2010 via YouTube c’est aussi le luxe d’une plongée en apnée dans les archives numérisées de l’époque qui l’entoure, des interviews aux vidéos de concert en passant par les reportages MTV. Live Through This est venu accompagné l’introduction de “Violet” par Courtney Love aux Video Music Awards de 1995 en égrenant les noms des membres de son entourage disparus récemment. Chez Jools Holland, elle laisse des traces de rouge à lèvres sur le micro en marmonnant “He Hit Me (And It Felt Like a Kiss)” des Crystals comme une banshee qui ferait ses gargarismes avant de terrifier les alentours de son cri perçant. En 2018 les adolescent·e·s qui s’étaient pris Live Through This à sa sortie (et dans une moindre mesure Celebrity Skin) ont grandi et ont pris le temps de revenir dessus dans leurs livres et articles. S’en est suivie une chasse aux trésors qui a fini par tracer les contours d’une communauté d’esprit avec des personnes pour qui Live Through This avait compté et comptait encore, une connivence assez privée puisque personne autour de moi n’appréciait particulièrement Hole ou Courtney Love. Comme une forme d’aboutissement de cette quête, le livre que consacre Anwen Crawford à l’album dans la collection 33 1/3 fait une place particulière et précieuse à la parole des fans qui ont découvert Live Through This à sa sortie pour ensuite grandir grâce et avec le disque. Le livre existe comme un témoignage empreint de tendresse à l’égard de celles et ceux pour qui la musique pop importe, grâce et/ou en dépit de son statut d’artefact industriel.

Ce que vient montrer le présent papier c’est que l’album n’a pas terminé son chemin. Et puis un jour lors d’un nettoyage de printemps, j’ai pu retirer l’album de mon iPod. Peu avant, j’avais rangé tout ce qui me rappelait la rupture dans un coin et oui, le tout tenait dans une boîte à chaussures.