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Lala &ce – SunSystem: l’étuve de l’été

Est-ce que je vais continuer à n’écrire que sur des chansons plutôt que sur des albums parce que j’ai la flemme et que le manque de temps m’assaille ? Ou bien est-ce que je me fonds ainsi dans la masse en renonçant au format album ? Dans ce cas il faudrait que je sois BEAUCOUP plus productif pour égaler le rythme d’un flot ininterrompu de nouveaux titres à écouter chaque semaine. Il y a les playlists de plateformes pour ça. 

Idéalement intitulé SunSystem, le nouvel EP de Lala &ce permet un entredeux (prononcer “Ace” comme dans “Ace of Spades“). En période de travail intense on trouvera bien le temps d’écouter 8 titres pendant 24 minutes. Et dans le cas contraire ça fera très bien office de disque de l’été. Il y a quelques années Goûte Mes Disques regrettait un peu le bon vieux temps du “chouette petit groupe dont on aura probablement oublié l’existence douze mois plus tard “, le petit groupe en question pouvant se voir dépositaire d’un amour durable (Thérapie Taxi en ce qui me concerne, on en reparlera sans doute plus tard). Du rayonnement des dreads de Lala &ce en pochette à la célébration de l’instant présent sur chaque titre, on tient bien l’une des euphories estivales. 

Un temps associée au collectif lyonnais 667 qui gravite autour de Freeze Corleone, Lala &ce a sorti son premier album Everything Tasteful en janvier 2021 et la date est importante parce qu’il s’agissait vraiment d’un disque hivernal, le genre de musique nocturne et moite qui incite à se replier sous une couette pour forniquer salement (avec quelqu’un ou avec soi-même selon les circonstances). La rappeuse parle de “darkdance“, une musique pour danser dans le noir en se serrant tout seul dans ses propres bras. Seule sur la pochette elle nous toisait depuis la pénombre de son studio d’enregistrement, trônant au sommet d’une pyramide de tubes parfaits pour les années Covid (“Parapluie”, “Holy”). L’élocution était aléatoire entre marmonnements codéinés et râles de plaisir ou d’agonie voire les deux ensemble. En provenance direct du mumble rap, ce rap aux paroles à la limite de l’intelligible (Future, Young Thug, Lil Durk), la musique de Lala &ce fondait les syllabes et les prods dans un alliage toujours plus liquide. 

Un an et demi plus tard, la rappeuse a des tournesols plein les yeux et de l’or plein les dents. L’heure est à la célébration et à la transpiration. La diction est plus claire même si elle fluctue toujours, comme Lala &ce l’expliquait à Manifesto XXI en 2018 : “Il y a deux parties, tu peux capter le flow, et l’écouter comme un son cainri, et si tu t’intéresses un peu plus, à force d’écoutes tu vas comprendre, parce qu’en vrai les gens, à force d’écouter ils comprennent, je ne parle pas non plus chinois“. Si le sens est toujours un peu cryptique, les sensations sont là. D’accord, c’est assez inhabituel dans la chanson francophone où l’héritage de la poésie chantée Rive Gauche pousse à donner tout pour le texte. Pourtant on n’entrave que dalle à ce que baragouine Future et on kiffe, alors faisons de même ici. Être de nouveau dehors c’est pécho des meufs, baiser beaucoup et succomber alors qu’on aurait dû dire non.  

Yeah, c’est trop tard, j’avais senti le hic
Et j’ai sеnti l’histoire, malgré la plastique
Et la bouche fantastiquе mais j’étais forcée d’y croire

Mélanger le français, l’argot et l’anglais ressemble à une facilité pour bien sonner à peu de frais jusqu’à écouter le 2e couplet d’ “&IRLINE” car personne ne joue au flipper avec les syllabes comme elle. Un poil plus distinct, le chant de Lala &ce émerge de sa torpeur habituelle pour réchauffer les cœurs en alternant les raclements de gorge nicotinés et les glissandos autotunés (“BON TEMPS (INTRO)”). Les prods choisies sont parfois si minimalistes (“FASTER”) qu’elle peut prendre tout l’espace pour harmoniser avec elle-même.

Le storytelling entourant SunSystem (AKA les éléments de langage du service promo) met en avant le retour aux sources ivoiriennes de l’artiste avec clip tourné dans le quartier de Yopougon à Abidjan à l’appui. On parlera un peu partout des sonorités reggaeton, des incursions de notes de kora (harpe-luth d’Afrique de l’Ouest). C’est un peu convenu mais ça fonctionne d’autant mieux sur un format court comme celui-ci. Il faut dire aussi que les connaissances techniques me manquent pour en dire quelque chose d’intéressant… Si ce n’est relever que, même si elles sont bien plus explicitement dansantes qu’avant, les prods de SunSystem restent dans cette zone indistincte de percussions étouffées où les mélodies instrumentales et vocales se coulent les unes dans les autres (“MISE A MORT”) pour des corps déjà groggy, ivres de chaleur et du reste.

« Elle veut du soutien, qu’elle quitte son soutien-gorge
Mais dans la rue, y a des porcs, elle pense à ça quand elle sort »

Les voix de Lala &ce sont nombreuses et parfois impénétrables. Certaines lui appartiennent, d’autres gravitent et s’invitent (Le Diouck, Maureen et Midas The Jabagan en featuring). Comme chez Isha, l’écriture est tout sauf clinquante et pourtant ses phrases (qui ne sont pas vraiment des punchlines) marquent le crâne quand elles parlent de cul et qu’au détour d’une rime elles débouchent sur des recoins sombres. Assez pour faire durer SunSystem plus d’un été ?