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Animal Collective – “Applesauce” : l’enfance c’est terminé

Pas mal de gens semblent déçus de l’évolution d’Animal Collective et de leur musique depuis… mais depuis quand déjà ? Il y en a pour qui rien ne vaut l’exaltation expérimentale de Sung Tongs, d’autres se pelotonnent dans le dépouillement de Merriweather Post Pavilion, certain·es vont jusqu’à apprécier les tentatives pop simplifiées de Painting With (j’aime bien “The Burglars” moi). Animal Collective peut au moins se vanter d’avoir engendré des tribus capables de s’identifier chacune à une période fétiche de sa musique. On ne va pas se mentir, je n’ai jamais écouté Merriweather Post Pavilion et j’ai sans doute tort. Pour moi Animal Collective c’est la percussion explosive de Centipede Hz.

A l’époque le groupe sortait du succès presque surprise de Merriweather Post Pavilion et de son tube inattendu “My Girls” auquel Animal Collective n’aura de cesse d’échapper. Se débattant avec la vie d’adulte qui ne s’embarrasse pas de frapper à la porte et défonce tout sur son passage, le groupe tente des retraits réguliers vers son enfance cristallisée et un peu fantasmée, des frictions explicitées dans “Applesauce” :

When I was young I thought fruit was an infinite thing
I’d be sad to wake up and find all of my cherries are charred or they’re rotted to ruin

Qu’entend-on dans le son du glas de l’enfance? Il ressemble fort à l’idéalisation de cette période de la vie comme état de nature (attention les gros mots) pour l’être humain non encore souillé par les multiples compromissions, à rapprocher de la fameuse innocence des enfants (à réviser fortement). A ce titre Avey Tare s’écrie un peu plus loin sur le disque “Why am I still looking for a golden age ?” C’est là qu’Animal Collective se montre beaucoup plus pertinent que ses contemporains de Brooklyn, ces foutus MGMT. Ces derniers, auxquels Animal Collective me fait souvent penser (désolé j’étais jeune adulte en 2008 pas en 2004), répondaient à la disparition de l’enfance par l’ironie mortifère du post-modernisme où leur désenchantement va contaminer leur musique qui sonne comme le constat de leur incapacité à dépasser leurs influences. L’ironie reste une manière de se contorsionner pour s’adapter à une vie d’adulte considérée comme dégueulasse et le pas de côté ressemble souvent à une capitulation.

Nous saurons gré à Animal Collective de faire différemment de MGMT en dialectisant son rapport à l’enfance, ce qui lui permet d’éviter de sentir trop fort le patchouli. Parce que la béatitude c’est pas OK et que les hippies sont nos ennemi·es, ne l’oublions pas. Quelle prise nous reste-t-il alors ? “Applesauce”, comme l’ensemble de Centipede Hz, grouille de sons parasites et d’harmonies vocales piaillées par quatre hommes dans les hauteurs suraiguës, jusqu’à sonner précisément comme des voix d’enfants criant sans cesse pour se faire entendre, entre extase et panique. Panique justifiée par l’environnement saturé de Centipede Hz où s’expriment ces voix qui ressemble fort à la transcription musicale de la psyché d’un être humain au XXIe siècle soumis à une hystérie connectée permanente : surcharge d’informations, changements brutaux (ici de rythme et de mélodie), vitesse d’exécution folle.

Loin de moi l’idée de jouer les boomers renfrognés, c’est juste qu’en voyant cela on peut avoir envie de sauter du train en marche. Même si nous disposons de tout le corpus théorique et idéologique nécessaire pour prendre conscience de ces différentes aliénations (et de ce qu’elles nous font oublier auquel Animal Collective ne cesse de nous ramener), c’est bien le propre de l’aliénation que de se faire aussi discrète que puissante. Il va être bien difficile d’échapper à la morale de la mobilisation permanente. Le monde d’après n’est pas venu mais nous ne sommes pas vraiment allé·es le chercher non plus. À un niveau individuel nous pouvons tenter de rester fermes sur nos appuis et (ré)affirmer sans cesse nos propres contours plutôt que nous dissoudre dans les injonctions. Nous pouvons aussi sauter collectivement du train, qui sait ?