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Refused – “Protest Song ’68” : À tant rêver de Malatesta

À vrai dire j’y croyais moyen à cette histoire d’ “À suivre” concernant Refused en mai de cette année même si The Shape of Punk to Come tournait en boucle chez moi. 6 mois plus tard, force est d’admettre que cet album est bien (avec 24 ans de retard) un de mes disques de l’année. Surprenant à chaque fois, enthousiasmant sur le plan idéologique, il persiste à surnager.

Daniel Darc disait avoir écouté Bach après avoir lu les notes de pochette rédigées par Keith Richards qui comparait Robert Johnson au compositeur allemand. Ce rôle de passeur, un peu désuet à notre heure de flux gérés par des algorithmes, a fonctionné à plein avec Refused et me voilà à lire Errico Malatesta en 2022 sur la foi de ces lignes :

I breathe in and I create / Rewoke the spirit ’68

I breathe out and I scream / Rewoke Malatesta’s dream

Bien sûr l’effet aurait sans doute été décuplé si j’avais eu accès à tout cela adolescent mais on fait de son mieux pour rattraper son retard. On peut rire en lisant les notes de pochette incroyablement prétentieuses de Dennis Lyxzén, que celui-ci qualifie même de manifeste (sans rire), elles font le job de bréviaire pour petit·e anarcho punk. Ce jeu de pistes idéologique reste efficace 20 ans plus tard, de l’anarchiste italien Malatesta à l’écrivain Henry Miller en passant par Phil Ochs et Guy Debord et voilà comment on se retrouve à passer son été à lire Kropotkine.

Pour autant il n’y a pas de quoi se leurrer. En dépit de (ou grâce à) toute sa radicalité, le propos de Refused en reste au stade de la déclaration d’intention. Comme le décrit Philippe Roizes dans son article pour la revue Audimat, le compagnonnage entre le punk rock et la mouvance autonome est avant tout d’ordre esthétique, la notion de sacrifice n’étant pas vraiment à l’ordre du jour pour les acteurs de la scène musicale. En termes de choix de vie et d’action politique aucun disque de punk ni aucun musicien de l’époque n’a jamais changé voire foutu grand-chose. Et en vrai, ce n’est pas vraiment ce qu’on leur demande. Les années passent et le punk rock est resté pendant quelques temps (au moins jusqu’au début des années 2000) un réservoir de contre-culture parfois prémâchée dans lequel puiser. Est-ce toujours d’actualité? Rien n’est moins sûr quand la création de nouveaux modèles se fait avec les armes du capitalisme plutôt qu’à l’encontre de ce dernier, à l’instar du financement “en indé” du rap actuel. Difficile de reprocher ça aux rappeur·ses, il n’y a rien de romantique à se faire avoir par les acteurs économiques de l’industrie culturelle et mieux vaut partir averti et équipé. Cela dit, l’absence de calcul et de cynisme d’un Dennis Lyxzén a ses vertus car la candeur est une des rares vertus d’un groupe de rock.

Ce qui permet en dernier ressort à The Shape of Punk to Come de frapper toujours aussi fort aujourd’hui c’est sa cohérence musicale, au moins autant (sinon plus) que son arsenal de références post-situationnistes. Guidé par une ambition affichée dans son titre, l’album va le plus loin possible : être le plus technique, le plus mélodique, le plus éclectique possible pour enterrer la concurrence et s’extraire du bourbier hardcore qui ressemblera toujours plus à une réunion de fight club qu’à un espace de critique sociale pure. “Protest Song ’68” c’est avant tout un motif de batterie plus mémorable encore que son riff, un son de toms obsédant à la fois brut et raffiné. Un jour il faudra bien faire l’inventaire élogieux de ces groupe de rock dur qui n’ont jamais mis d’eau dans leur vin. En attendant, la tentation pop des musiques extrêmes me paraît toujours plus intéressante. C’est déjà pas mal de voir s’ouvrir des perspectives musicales et littéraires voire politiques, ça a même un côté rassurant quand une bonne part de la musique pop nous met le nez dans la merde de nos contradictions (au hasard la misogynie presque permanente) en nous demandant : quelle quantité de noirceur pourrez-vous absorber sans vomir ?

L’année 2022 semble se finir sur un boom plutôt que sur un murmure : soit il fait 18°C en octobre et on pleure face à la planète qui crame, soit la vraie température automnale se pointe et plus personne ne sait se chauffer. Acculé, ça donne envie de renoncer à un quelconque programme réaliste pour jouer à qui pisse le plus à gauche, se retrancher dans la critique sociale toujours plus affûtée au point d’être inapplicable et seulement bonne à ouvrir des champs du possible (c’est déjà pas mal). C’est encore une manière de tirer avantage d’un état de sidération et Refused est au diapason de ce plan aussi risible qu’enthousiasmant.