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Bob Mould – Distortion: La rage, tout le temps

À quoi bon les best-ofs en 2023 ? À l’heure où l’écoute se fait sur des plate-formes et que la prescription musicale est déléguée aux algorithmes ? Pitchfork apportait des éléments de réponse à propos de la compilation Gold d’ABBA : les greatest hits prétendent cerner l’essence de l’œuvre en se concentrant sur les tubes (ça fonctionne plutôt bien avec ABBA). Par ailleurs et à la manière du business des rééditions ou de la présence d’une chanson dans un film ou une série, le best-of est un véhicule permettant d’amener l’œuvre établie à de nouveaux publics.

Concernant Bob Mould c’est un peu différent puisqu’il n’a pas de tube (même si avec son groupe Sugar il a pu vendre des disques à une époque). Distortion 1989 – 2019 est à la base un gargantuesque coffret regroupant TOUT ce que Mould a sorti durant la période concernée sur 24 CD. Par quel flanc attaquer un tel Everest ? Évidemment au moyen de la compilation dont il est ici question sous un bien à propos, Distortion : the best of 1989 – 2019, 2 chansons pour illustrer chaque album de Mould et ses divers groupes, le tracklisting suivant l’ordre chronologique. Vu la notoriété toute relative du musicien, le recueil est l’occasion d’une découverte en bonne et due forme. Pas sûr, cela dit, qu’avec sa pochette moche et sa présence parcellaire sur les plate-formes de streaming cette anthologie étendra vraiment la renommée de Bob Mould auprès de nouvelles générations.

Avec Hüsker Dü il a forgé pendant 10 ans les bases du rock alternatif des années 90 en partant du punk hardcore pour faire le lien avec le college rock à venir. Quand les Pixies formés sur la base d’une petite annonce mythique “Band seeks bassist into Hüsker Dü and Peter, Paul & Mary” récoltent une part des lauriers avant la grande moisson effectuée par Nirvana, le groupe de Mould s’est auto-détruit et c’est là que débute Distortion. Terminés le blizzard de guitares et le hurlement tellement vital de Bob Mould, il tourne le dos au punk rock et les débuts du disque sonnent bizarrement comme Pearl Jam avant l’heure (ou plus exactement, Pearl Jam au moment-même où le groupe de Seattle commence à exister). La voix de Mould évoque tour à tour Michael Stipe et Eddie Vedder, du coup si vous êtes allergique à leurs marmonnements ces instants vont être compliqués. Difficile de savoir ce qui conduit Mould à composer du grunge à l’instant précis où émerge cette musique qu’il a contribuée à créer avec Hüsker Dü selon les dires de Kurt Cobain entre autres. Peut-être existe-t-il une racine commune avec Neil Young et sa vulnérabilité chantée sur des guitares électriques étirées le long des morceaux hypnotiques (“Black Sheets of Rain”). C’est en tout cas une temporalité des plus étranges où les règles du jeu des influences/descendances sont brouillées.

Le seul intervalle où Bob Mould semble être au bon endroit au bon moment c’est quand il assemble le groupe Sugar en 1992. Sur “A Good Idea” il rend un hommage (sarcastique ?) aux Pixies, ailleurs il joue vite et fort comme pour remettre à leur place tous les prétendant·es au trône du rock alternatif, le tout avec un succès public et critique, pour la seule et unique fois de son parcours. Cet alt-rock il l’envoie d’ailleurs chier à l’album suivant le temps d’un “I Hate Alternative Rock” qui défriche la rythmique des Queens of the Stone Age dès 1996. Mais voilà, la fenêtre s’est refermée et le peu de célébrité de Sugar est déjà de l’histoire ancienne. Mould part explorer les musiques électroniques sous son propre nom ou en tant que LoudBomb, c’est courageux sans être ce qu’il a fait de mieux. C’est aussi à cette période qu’il fait son coming-out et intègre la donne à sa musique là où, comme Stephin Merritt des Magnetic Fields, il avait jusqu’alors fait le choix de ne pas genrer ses paroles.

Hüsker Dü allait tellement vite que la musique du groupe ne touchait presque pas le sol tandis que l’œuvre de Bob Mould en solo s’inscrit clairement dans le classic rock. Normalement il faut fuir cet avatar du rock pour papas qui pourrit les sonos de tous les Hard Rock Cafés de ce monde (et celles des putain de SUV), pourtant ce que fait Bob Mould depuis les années 2000 a plus de noblesse que ça. Finalement qu’est-ce qui sépare la musique de Mould de celle des Foo Fighters ? L’ex-Hüsker Dü est évidemment un meilleur mélodiste que Dave Grohl, ça aide. Il aborde des terrains déjà labourés mille fois où seul le songwriting peut renouveler l’excitation (“I Don’t Know You Anymore”). Ancrée d’un point de vue rythmique, sa musique n’est jamais lourde même quand elle penche dangereusement vers le rock FM fadasse. Mais surtout, je crois que Bob Mould a toujours la rage. Il a souvent été décrit comme un jeune homme en colère à l’époque d’Hüsker Dü tandis que Dave Grohl a fait de sa bonne humeur un personnage public à part entière. C’est un peu essentialisant mais ça peut faire la différence. Outre la haine de soi liée, de son propre aveu, à son homosexualité, la musique de Mould est aujourd’hui pleine d’une tristesse qui n’existe que chez celles et ceux pour qui le temps a passé (“The Descent”). Son histoire est celle des occasions manquées. Hüsker Dü était en avance sur tout le monde et s’est dissout peu avant que le rock alternatif rafle la mise. En solo, Mould est ce type qui a toujours loupé le coche mais n’a jamais lâché l’affaire tout en étant bien conscient que beaucoup de choses sont derrière lui. Les différentes formes de rock qu’il a plus ou moins engendrées ont disparu des radars et il est, désormais et paradoxalement, le dépositaire de l’héritage de sa propre descendance.

Rien de nouveau: le rock n’est plus une musique de jeunes et c’est peut-être, parfois, tant mieux. Quand il est porté par un vieux comme Bob Mould il perd en excitation juvénile ce qu’il gagne en savoir-faire et en surprenante vitalité. Vu le peu d’entrain du rock à l’heure actuelle (encore une fois, ce n’est pas une mauvaise chose), je doute que Distortion fasse des miracles pour Mould mais si ça a fonctionné pour moi, pourquoi pas pour d’autres ?