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Musique Portrait

Disiz: Tout simplement ailleurs

Pour veillir dans le rap Isha a dû partir, tuer son alter ego Psmaker et ressusciter sous son propre nom. Disiz lui n’est jamais parti. Dans une musique où la jeunesse a toujours raison (mais y a-t-il d’autres vérités que celle-ci ?) l’auteur de “J’pète les plombs” sort encore des disques en 2022 à 40 ans passés. Sans avoir souvent prêté attention à sa musique, je m’aperçois qu’il a toujours été là, quelque part dans le paysage, depuis 20 ans. Retour sur quelques occurrences au fil du temps.

Comme tous les gens de ma génération, Disiz pour moi c’est avant tout “J’pète les plombs”, un de ces singles qui arrivent par accident. Le sample est mal bouclé, les lyrics sont pleins de gros mots et le clip prend pour point de départ une scène du film Chute Libre de Joel Schumacher. Bref, rien qui destine le titre à la rotation lourde en radio mais c’est pourtant bien ce qui arrive. Pour la promo de ses derniers albums, Disiz revient souvent sur la manière dont le succès précoce et inattendu a déterminé la suite de sa vie en opérant un transfuge de classe le propulsant de “petit mec de quartier” à pop star française dans un genre musical plutôt axé sur le sérieux de la démarche (à l’image du reste de son album Le Poisson Rouge).

10 ans plus tard il s’invente l’alter-ego Peter Punk pour s’affranchir des codes du hip hop tels qu’ils sont définis à cette époque où le rap c’est avant tout 50 Cent. On est très loin de la street cred, c’est pas vraiment réussi mais c’est courageux. Aujourd’hui avec le recul, Disiz semble d’un côté avoir essuyé les plâtres en étant un peu trop en avance dans sa manière d’envisager le rap et d’un autre côté avoir été un peu handicapé par sa tendance à élaborer des concepts de manière trop scolaire (un album d’adieu au rap, un album de rock, un album de retour au rap…). L’intention est visible et louable mais ça ne fait pas un bon disque pour autant.

En 2015 il est sur scène au Brussels Summer Festival en ouverture de la “soirée rap” (ah quelle époque) avant Black M. Il a sorti Rap Machine dont tout le monde se fout un peu et il y a quelque chose de tristement héroïque chez ce type presque has-been, auparavant très bankable mais aujourd’hui dépourvu de moyens, à devoir assurer son spectacle seul sur scène sous le soleil de 18h devant un public clairsemé. Il reste marrant avec ses harangues “Le rap c’était pas mieux avant, le rap c’est mieux et puis c’est tout !“. Cerise un peu cruelle, plus tard dans la soirée Black M déploie la puissance de feu financée par les majors qui était accordée à Disiz 15 ans auparavant.

Au même moment Disiz intervient dans le documentaire Un jour peut-être réalisé par Antoine Jaunin, Romain Quirot et François Recordier qui retrace l’épopée de ce qu’on a appelé à l’époque (faute de mieux) le rap alternatif. Mêler le rap aux musiques électroniques, sampler des BO de jeux vidéo, rapper la dépression : tout ce qui fera le rap francophone des années 2010 est défriché par les acteurs de cette version alternative dont Disiz partage les préoccupations et les partis-pris. En guerre ouverte contre le rap qui brandit ses “CAP en musculation et BEP en peines de prison“, il s’inscrit dans cette histoire via notamment ses collaborations avec Grems (non je ne les ai pas écoutées, oui revoir le documentaire m’en a donné très envie).

Rapper la dépression, Pacifique s’y consacre entièrement et amène à Disiz un nouveau public extrêmement investi venant grossir les rangs des trentenaires qui ont bougé la tête sur “J’pète les plombs” pendant leur adolescence. C’est une plongée dans les souvenirs du rappeur et sa lutte contre lui-même dans un paysage rap où PNL est au premier plan. Disiz est de nouveau au bon endroit au bon moment. Pacifique est malheureusement trop long et se perd complètement dans les moments où il tente de donner des gages à un public imaginaire qui voudrait de lui un rap pur jus. Je sais bien que la nouvelle économie qui découle de la prise en compte du streaming dans les chiffres de vente entraîne la nécessité de produire des projets à rallonge pour maximiser le nombre de cliques et espérer grappiller des miettes de la masse d’argent générée. Il n’empêche qu’on y perd.

Avec L’Amour Disiz a peut-être enfin “sorti son classique” pour reprendre les termes de NoFun à l’époque de Pacifique. Évacuée la nécessité de donner des gages de vrai rap à un supposé public (lequel ?), terminée la dissipation du propos dans des ébauches de morceaux boiteux. Disiz est quarantenaire et il vit mieux que jamais avec son époque, ou peut-être bien que c’est l’époque qui vit mieux avec Disiz. La nostalgie eighties pour gros bébés chauves (allô Stranger Things ?) a contaminé le rap francophone et tout le monde s’éclate sur des synthés moches et des beats simplistes, à commencer par les plus jeunes à qui les gros bébés sus-cités vendent l’imaginaire de leur propre adolescence.

Sur ce voilà Disiz dont l’adolescence a effectivement eu lieu dans les années 80 et qui (attention alerte au boomer) a su prendre du recul et digérer ses différentes esthétiques, les dialectiser pourquoi pas, pour en extraire quelque chose de neuf. Pas question de s’emmitoufler dans un plaid rétro. Le vague à l’âme de cette époque révolue de la variété française est une parfaite traduction musicale du thème de l’album structuré autour du temps qui passe. Ici il faut sans doute parler de l’apport de LUCASV, le beatmaker qui assure la cohérence sonore de l’album en quasi co-auteur de L’Amour à seulement 24 ans. C’est d’ailleurs cet écart d’âge entre Disiz et LUCASV qui permet d’éviter l’ornière du trip post-Balavoine de vieux ou celle des clichés sonores du jeune découvrant que la musique n’a pas commencé avec sa naissance (la dialectique, on y revient). L’Amour est un album de rap pensé du début à la fin avec une écriture grattée à l’os qui rassemble ses chansons autour d’un thème unique déployé sur 40 minutes, un vrai format de disque pour les vieux comme moi. Il y a même une très belle pochette pour les gens qui achètent encore la musique au format physique.

C’est presque une happy end en forme de récompense pour Disiz qui n’a pas lâché et pour les différents publics qui l’ont suivi ou rejoint pendant toutes ces années.