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Refused: l’obsession, un an plus tard

Mais qu’est devenue ma vie ? C’est la question que je me pose quand je me surprend à zoner indéfiniment sur YouTube pour regarder toujours davantage de vidéos crades de Refused en concert. Après tout ça va faire un an que j’écoute The Shape of Punk to Come plus ou moins en boucle donc il doit bien y avoir quelque chose d’important (et d’obsessionnel) là-dedans.

Les vidéos de Refused disponibles et filmées de manière professionnelle arrivent trop tard dans l’histoire du groupe qui s’est alors déjà séparé puis reformé et comme toutes les reformations c’est un moment plutôt triste qui apparaît à l’écran avec des types un peu vieux qui jouent trop lentement des chansons composées il y a bien longtemps. Ces gens qui ont fait des choix un peu radicaux à une époque et créé une musique repoussant certaines limites ont vieilli, fondé des familles et payé des factures. Se séparer sur un manifeste intitulé Refused are fucking dead et rejouer ensemble 15 ans plus tard dans des festivals mastodontes symptomatiques de la concentration du capital dans un petit nombre de mains, quoi de plus triste ?

Pour ne pas désespérer, mieux vaut (re)voir le chaos méticuleux que Refused était capable d’orchestrer à l’époque de The Shape of Punk to Come. Même si de l’aveu du groupe Dennis Lyxzén ne s’intéressait plus à la musique mais uniquement à la révolution, il joue bien les maestros autour du swing frénétique de Refused. Ça joue fort, vite, technique et brut. On devine parfois plus qu’on ne voit. Le public pourrait être vous dans un bar où vous êtes venu·es soutenir le groupe de vos potes pendant que votre crush a trop bu et s’est endormi·e à table avant même le début du concert. La vibe de cave qui imprègne ces images pixelisées et mal éclairées a le charme fantasmé du dernier sursaut do it yourself avant sa mutation en culte de l’auto-entreprenariat. Se déploie sous nos yeux l’idéal romantique, ridicule et excitant de Refused que son chanteur Dennis Lyxzén a beaucoup contribué à fixer voire à auto-mythologiser au travers de ses textes, ses notes de pochette et ses “manifestes”.

Pour approfondir cette plongée obsessionnelle le hasard fait bien les choses puisque Dennis Lyxzén a récemment lancé sa chaîne YouTube Dennis Deep Cuts dans laquelle il cause simplement de ce qu’il aime (ce qui est exactement l’objet de Pause Pipi). Mes premiers contacts avec le punk rock et particulièrement son pendant hardcore m’avaient plutôt dégoûté de cette scène sectaire et viriliste, obsédée par ses propres codes et l’importance de séparer sans cesse le bon grain de l’ivraie. Plutôt que de jeter l’anathème depuis son salon, Lyxzén est en quelque sorte fidèle à l’approche syncrétique de Refused en partageant ses enthousiasmes de jeunesse et d’adulte en se concentrant sur le hardcore (sans s’y limiter) ou en s’épanchant sur la place du punk rock dans ses choix de vie d’adolescent suédois venu d’une petite ville. L’approche est nerd mais pas surplombante, avec un enthousiasme qui déborde de partout comme lorsque Lyxzén recense les compilations de hardcore 80s qui l’ont marqué. Cette approche n’est pas si éloignée de celle d’un Teki Latex chez TTC (et après la séparation du groupe) qui parvient en interview à transmettre sa passion pour Company Flow, Lil Wayne et Ellen Allien.

Un an après la découverte de The Shape of Punk to Come et grâce au microcosme déployé par Refused (et la mythologie inhérente aux petits anges partis trop tôt) il reste de quoi se perdre sur Internet au départ d’un après-midi de désœuvrement jusqu’à se dire que le look arboré par le groupe dans le clip de “New Noise”, entre pulls col V et raies de cheveux sur le côté, a peut-être engendré le cliché du meme “if the hardcore band’s guitarist looks like this you are going to die in that pit“.