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Gérard Lenorman – “Voici les clés” : All you need is loss

Sa page Wikipédia nous annonce qu’il n’est pas mort, comme quoi la vie est faite de surprises, ni bonnes ni mauvaises en l’occurrence. Comme d’autres chanteurs et chanteuses de variété des années 70-80, Gérard Lenorman est un abonné à radio Nostalgie et à quelques émissions qui mettent l’accent sur son parcours personnel plutôt que musical. Et comme les autres, il a droit à un retour dans les bacs à disques à l’occasion d’un best-of où il reprend ses propres tubes en duo avec des artistes à peine moins ringard·e·s que lui. Belle confiance en lui cela dit, Gérard Lenorman n’a jamais jugé utile de prendre un pseudonyme.”Voici les clés”, il n’en est ni l’auteur ni le compositeur, à peine l’interprète francophone de cette adaptation d’une rengaine italienne. Dans son mode de production avec ses artistes cantonné·e·s à l’incarnation de chansons choisies pour eux·elles, la variété française semble n’avoir jamais vraiment pris le virage de la pop post-Beatles, quand tout le monde s’est mis à écrire et composer pour s’exprimer et pour capter les droits d’auteur.

“Voici les clés” a d’ailleurs une sacrée dette envers les Beatles. Elle a beau sortir en 1976, la chanson descend en lignée directe d’ “All You Need Is Love”, portée par des piccolos de cuivres et de vents comme on en mettait partout dans la pop dix ans auparavant. Il y a quelque chose de presque touchant dans ce classicisme quasiment académique et je dirais bien que “Voici les clés” prend la forme d’un menuet mais je n’y connais rien puisque le seul titre dont je peux assurément dire qu’il en est un, c’est “Le Duc de Boulogne” de Booba (selon les dires de son beatmaker Animalsons). En tout cas s’il y a bien un élément qui distingue la version de Lenorman de l’originale, c’est la lassitude du rythme dans la version francophone qui vient remplacer l’entrain rigide et militaire de “Nel cuore nei sensi”. Ici la bataille est déjà perdue depuis longtemps mais à rebours de cette batterie qui se traîne, le chanteur donne tout ici dans son ivresse, à essayer d’insuffler un peu de vie à tout ça.

C’est quelque chose qui va au-delà de la technique classique consistant à plaquer des paroles tristes sur une mélodie enjouée. Le chant extatique de Lenorman rame carrément à contre-courant de sa chanson, c’est la voix d’un mec qui parle à son reflet dans la glace de sa salle de bain tandis que sa vie est mise en pause, une pause mortifère (“Je vais tenir mes rêves au chaud et le champagne au froid car je t’aime“). Le pauvre type est tellement esseulé qu’il n’a personne à ses côtés pour chanter les chœurs de sa chanson alors il les assure lui-même en harmonisant avec sa propre voix qui résonne dans le vide, comme l’écho dans la montagne nous rappelle qu’on y est bien seul. C’est une posture un peu héroïque que ce doublage maladroit, un “ah ah” par-ci et un “nanana” par-là. De quoi faire l’erreur de prendre le narrateur de la chanson pour son héros justement.

C’est au moment du pont rêveur que je commence à douter de ce type qui a l’air bien trop convaincu d’incarner le bonheur de l’être aimé non aimant. Et si le drame qui se joue était plus ambigu voire plus malsain que prévu ? Quand le chanteur dit avoir gardé les bouquins et le p’tit chien de la personne qui l’a quitté, je me dis que cette dernière est partie bien précipitamment en s’assurant de ne rien devoir à son ancien amant, quitte à lui laisser le gosse et les responsabilités qui vont avec afin de récupérer sa liberté au plus vite. Ou pire, c’est lui qui a gardé ça en otage pour la retenir. Et si le narrateur était le pire des connards ? Il a l’air en tout cas très sûr que la longévité de son amour lui donne des droits (“Pas de chance, moi je t’aime aussi, et depuis bien plus longtemps que lui“). Et si ses ami·e·s avaient eu raison de le déserter ? Pas sûr que toutes ces questions aient traversé l’esprit des gens qui ont écrit et composé “Voici les clés” mais à mon sens la chanson pourrait bien contenir tous ces clairs-obscurs. Dans ce cas bonne chance au petit Nicolas qui va au devant de tristes années.