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Marina & the Diamonds – “Are You Satisfied?”: ma pop est plus grosse que la tienne

Au rayon des anniversaires discrets, The Family Jewels de Marina & the Diamonds fête ce mois-ci ses quinze ans d’existence. Et si vous n’étiez pas au courant de l’existence de l’album, c’est sans doute la preuve que Marina Diamandis n’est pas parvenue à ses fins malgré les ambitions affichées dès ce premier album en 2010. D’une certaine manière, “Are You Satisfied ?” ouvre le disque comme un équivalent au “Rock ‘n’ Roll Star” d’Oasis : une profession de foi ayant valeur performative. Ou pour le dire moins pompeusement : fake it until you make it, si tu dis que tu es une superstar, alors tu l’es.

Les aspirations affichées dès le titre inaugural se doublent par ailleurs d’un commentaire sur la célébrité hautement “glam” au sens que lui attribue Simon Reynolds dans Le Choc du Glam avec cette adoption en toute conscience par la musicienne de la théâtralité propre au show-business tout en déconstruisant son propre personnage (avant même que le public ait appris à le connaître d’ailleurs). Avec “Are You Satisfied ?”, Marina Diamandis met ses rêves de grandeur dans un canon pailleté destiné à la propulser sur le devant de toutes les scènes du monde. Comme le meilleur glam rock seventies, la chanson est une montée d’adrénaline chargée en sucre (ou tout autre excitant), dorée et pétillante comme une coupe de champagne. Mais contrairement à la musique de ses prédécesseurs (David Bowie période Ziggy Stardust, Marc Bolan ou Slade, entre autres), la synthpop de Marina & the Diamonds est aussi ravissante qu’anachronique quand elle débarque en 2010 au début du règne de Lady Gaga qui impose sa pop stéroïdée. Marina, elle, fait encore des concessions gentiment indie rock à cette époque pas si lointaine mais entièrement révolue où les majors paient des spots de pub à la TV pour promouvoir leurs sorties. Elle tentera par la suite de prendre le train en marche en collaborant sur Electra Heart avec les producteurs dance-pop du moment (Diplo, Stargate ou Dr. Luke pas encore accusé de harcèlement par Kesha). Elle ne réussira pas à péter les scores pour autant, la faute à une mauvaise presse et à des chansons globalement faibles, même si “Bubblegum Bitch” compte parmi ses meilleurs tubes à retardement, entrant dans les charts en 2021 (soit neuf ans après sa sortie) après avoir resurgi dans les méandres de TikTok et donnant naissance à une vidéo un peu flippante pour l’occasion.

Une fois tout cela établi, votre appréciation de “Are You Satisfied ?” dépendra grandement de votre tolérance aux acrobaties vocales de la chanteuse avec ses lignes de chant tout en mélismes et montagnes russes maniérées. Pour ma part, je trouve que ces excroissances un peu monstrueuses font toute la saveur de sa musique en la défigurant juste assez pour lui conférer une légère étrangeté. Jamais vraiment là où elle devrait être, peut-être au grand dam de son autrice vu l’impact négatif sur ses ventes, cette musique essaie de tenir ensemble ses ambitions disparates, entre Do It Yourself revendiqué comme argument de vente (Marina Diamandis est l’autrice de ses chansons) et soif inassouvie d’un destin de pop star. Elle a beau jouer avec la théâtralité camp, certaines lignes dans “Are You Satisfied ?” semblent vouloir contrer un éventuel retour de bâton dès le premier morceau de son premier album. Difficile de dire si on touche ici à la paranoïa du Axl Rose de la grande époque ou si tout cela en dit surtout long sur la finesse de la ligne sur laquelle une musicienne est autorisée à marcher dans l’industrie culturelle.

High achiever don’t you see, baby nothing comes for free

They say I’m a control freak, drive by a greed to succeed

Allant jusqu’à évoquer la solitude et le suicide au détour de son egotrip, la chanson commente ici encore les affres d’une vie où la célébrité, bien que dévoreuse d’âmes, est la seule valeur en laquelle croire. Alors que Diamandis parle de son désir d’être chanteuse comme d’une maladie à l’adolescence, elle portera ces thèmes à leur point d’incandescence dramatique au moment de “Teen Idle” quelques années plus tard. Il est d’ailleurs frappant de constater que les “Diamonds” cités dans son nom d’artistes font référence à ses fans (plutôt qu’à son backing band par exemple), des fans par définition à l’état de potentialité avant la sortie de son premier album et dont la mention disparaîtra dans sa deuxième partie de carrière en tant que MARINA à partir de 2018, comme pour renoncer à performer la célébrité.

Certifié disque d’or au Royaume-Uni à sa sortie, The Family Jewels a connu des performances modestes à l’international et la suite de la carrière de Marina, bien qu’intéressante, ne lui a jamais amené le succès qu’elle se prédisait à elle-même. Comment exister artistiquement quand on a taillé son œuvre dans le but avoué de rencontrer un triomphe public qui n’est jamais vraiment venu ? Pendant que Charlie XCX célèbre l’exubérance noughties avec, elle aussi, une distance affectée toute glam, Marina Diamandis est toujours un peu à côté de son époque mais jamais suffisamment pour apparaître comme une artiste détachée des modes. La plus inattendue des “beautiful losers”, elle a loupé le coche mais ne lâche pas l’affaire, d’ailleurs son nouveau single “Butterfly” sort ce vendredi 21 février.