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La Souterraine – Sauve-moi: l’amour qu’on trouve

On sait depuis pas mal de temps aujourd’hui que le simple accès facilité par Internet à une abondance de produits musicaux ne suffit pas à permettre à nos oreilles de s’éloigner des sentiers battus. Au vu des phénomènes de concentration des entreprises à l’œuvre dans l’industrie culturelle, le travail de “digging” (pour parler comme Konbini) réalisé par le label La Souterraine depuis plus de dix ans n’en est que plus précieux. Les actions de prescription culturelle demeurent nécessaires pour s’y retrouver dans la profusion de sorties, le tout est de savoir qui les effectuent. Au pire, ça donne la détestable mention “curated by” apposée aux playlists des plateformes de streaming. Au mieux, ça autorise les défrichages de terrains musicaux pratiqués bénévolement par des collectifs comme La Souterraine.

Le collectif en question, actif depuis 2014, s’est fait une spécialité d’aller fouiller dans les marges plus ou moins lointaines de la pop en français pour sortir des compilations, la plupart du temps de manière gratuite. La page bandcamp du label dessine la cartographie d’une uchronie de la pop francophone où Noir Désir n’aurait jamais existé et où Jean-Luc le Ténia serait notre Johnny Hallyday. Parmi les multiples sorties, les compilations “thématiques” sont sans doute les plus abordables car l’éclectisme dont fait preuve le label rend parfois difficile l’écoute d’une traite, d’autant que les propositions musicales rassemblées sont souvent ambitieuses. Des sursauts new wave de SAINTE POP aux multisyllabiques fiévreux de la mixtape GO GO GO, La Souterraine s’intéresse à la pop en français en train de se faire, évitant ainsi l’écueil d’une patrimonialisation de cette musique qui se replierait sur elle-même et sur l’accumulation de son propre passé.

Guillaume Delafosse est aux manettes du recueil Sauve-moi, à la fois comme tête chercheuse et comme musicien avec le morceau “Jésus Chien, sauve-moi” sous l’alias Brave Bête et dans ma tête, il a la physionomie hybride de David Bowie sur la pochette de Diamond Dogs. Avec Benjamin Caschera de La Souterraine, ils ont assemblé des représentant·e·s de ce qu’ils qualifient d’ “anti-rock FR”, des chansons qui sont souvent l’œuvre d’amateur·e·s, fabriquées par de gens qui chantent à l’écart des études de marché. Sauve-moi est sortie à la Saint-Valentin 2025 et à propos de “L’amour qu’on cherche” de Tomi Marx j’ai envie d’écrire “émoji cœur” et rien d’autre, tant cette chanson est tout ce que je désire de la part d’un “alter-rock” en français. Cette pop refuserait la poésie chantée héritée des traditions de la chanson réaliste pour plutôt égrener ses gouttes de piano le long d’un après-midi de mai (“Toi là” d’Irinini Mons) pour, l’instant d’après, se fracasser contre récif (“L’étau”, Diane Cluster Diane). Elle serait garantie sans cock rock, faisant les choses simplement comme sur le “No Kilojoule” de Pistache Bitume qui tient l’équilibre d’un rock un peu cotonneux sans être ramolli. L’ode slacker “Chenille” de Télépagaille demanderait alors aux cinq mecs de Devo de se serrer sur la banquette pour dévaler la route arc-en-ciel de Mario Kart 64. Et la course se terminerait dans un diner installé sur rond-point près d’Orléans où Bleu Reine chante sa complainte de western grunge (“L’eau qui dort”).

Difficile de terminer sans évoquer “Les journées d’anniversaire font chialer” d’eadgar et Gabriel Kröger qui fait office d’anti-tube de printemps, capable à lui seul de noircir le ciel et de faire dépérir les bourgeons naissant ces jours-ci. La chanson est comme un train que j’aime voir dérailler encore et encore à chaque fois qu’arrive le pont bruitiste précédant le dernier couplet, un pont qui rachète les péchés de ce pays qui n’a jamais été capable de produire un larsen correct. Peut-être sera-ce mon morceau le plus écouté en 2025 parce que oui, c’est mon anniversaire cette semaine, so what ?