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Marilyn Manson – “Burning Flag” : Entre les deux, les monstres

Il est évidemment compliqué d’écrire sur quelque chose d’aussi frivole que la pop culture ces jours-ci. D’ailleurs il y est assez peu souvent question d’élection, à part peut-être chez Alice Cooper qui chante “Elected” et se présente ironiquement à la présidentielle américaine tous les quatre ans (un point de plus pour la culture). Sans doute qu’il y a plus sexy que la démocratie représentative comme thème pour une chanson. Dans le contexte actuel, une seule phrase pop m’est venue à l’esprit :

They gyrate and G-rate on Election Day

We got our ABC’s and our F-U-C-K

Ce qui résume assez bien l’œuvre de Marilyn Manson à l’époque. La punchline est suffisamment maligne pour donner la sensation à son public (dont je suis) qu’il a compris quelque chose en écoutant la chanson tout en alignant assez de termes orduriers pour faire chier les parents. “Burning Flag” trouve en l’occurrence sa place sur Holy Wood (In the Shadow of the Valley of Death), le disque de la gueule de bois post-fusillade du lycée de Columbine commise par deux adolescents tandis que Marilyn Manson est accusé d’avoir exercé une mauvaise influence sur les tueurs. Après les afféteries glam metal de Mechanical Animals, Manson sonne bien vénèr’ et tente par intermittence de renouer avec sa gloire des premières années sous forte influence Nine Inch Nails. “Burning Flag” s’inscrit dans cette veine, le beat asthmatique bat cent fois trop vite et le chanteur tape un sprint là-dessus en hurlant à la mort. Le reste de l’album oscille entre des tubes pop metal et des chansons pas toujours bien finies, le tout se voulant une contre-attaque vis-à-vis des différentes accusations pesant sur lui à l’époque (des accusations bien légères quand on connaît la suite, on y revient plus bas).

En tant que produit de son époque, Manson n’est pas si éloigné que ça du travail du réalisateur Oliver Stone. Celui-ci, se revendiquant héritier d’une tradition contestataire ayant connu un pic dans les années 60, a toujours clamé faire avant tout de l’agit-prop. Terme rattaché au marxisme-léninisme, il s’agirait d’agir sur les consciences au moyen d’une propagande politique de masse s’appuyant avant tout sur les affects. Le terme est passé dans le vocabulaire et le modus operandi commun à la faveur du caractère “pop” du maoïsme dans les années 60 et 70. Chez Oliver Stone, l’agit-prop prend la forme paroxystique de Natural Born Killers (1994) qui utilise l’outrance des médias de masse télévisuels qui deviennent hégémoniques tout en mettant en scène ces mêmes médias avec une outrance qui finit par retourner ces instruments contre leurs créateurs (qu’il s’agisse des chaînes TV ou de leur(s) public(s)). Marilyn Manson ne fait pas autre chose à l’époque avec ses disques-manifestes Antichrist Superstar, Mechanical Animals et Holy Wood, utilisant les armes de l’adversaire et sa parfaite compréhension de ce qui fait peur à la société américaine. Cela dit, si Antichrist Superstar est pour Manson l’équivalent de JFK pour Stone (son magnum opus formel parvenant à capter l’air du temps), alors Holy Wood est sans doute son Nixon : le moment où il se prend les pieds dans le tapis d’une œuvre mal maîtrisée et alourdie de concepts brouillons.

Tandis qu’Oliver Stone s’est enfermé dans des polémiques un peu stériles en centrant son travail actuel sur des entretiens avec Vladimir Poutine, Marilyn Manson s’est avéré être le monstre qu’il clamait être, mais de manière inattendue et autrement plus dramatique. Depuis 2020 il est en effet accusé d’agression sexuelle par seize femmes dont son ex-fiancée l’actrice Evan Rachel Wood. Sous cet éclairage glauquissime, son autobiographie au demeurant très divertissante prend des couleurs dégueulasses. Ce qui apparaissait à l’époque comme des anecdotes un peu sordides mais surtout imprégnées de provoc’ à l’intention des ados et de leurs parents semble aujourd’hui confesser des actes criminels jusqu’à peu intégrés dans la “mythologie rock” forgée par des groupes comme Led Zeppelin. Ironie (?) assez perturbante, Manson avait lui-même viré de son groupe le bassiste Twiggy Ramirez en 2017 suite aux accusations de viol prononcées par son ex-compagne la musicienne Jessicka Adams.

Il n’y a pas vraiment de conclusion à ce papier, peut-être parce que beaucoup de choses me paraissent suspendues ces temps-ci. Suspension ne signifiant ni attentisme ni résignation d’ailleurs. Il reste encore quelques étapes avant de brûler des drapeaux au fond de bouteilles remplies d’essence.