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Chassol: Chou à Bruxelles

(Merci à Lucie Durocher pour l’inspiration)

Chassol était à Bruxelles ces 15, 16 et 17 mai pour présenter son nouvel ultrascore Chou consacré à Bruxelles justement, sur une commande du Kunstenfestivaldesarts. C’est l’occasion de dire et d’écrire à quel point Chassol c’est vachement bien.

Pianiste, compositeur et chef d’orchestre formé au Conservatoire, Christophe Chassol fait partie de ce qu’il y a de plus stimulant dans la musique actuelle. La preuve en est, il est signé chez Tricatel de Bertrand Burgalat. En plus de son travail de composition pour le ciné ou la télé (quelqu’un la regarde-t-il encore ?) il élabore ce qu’il a nommé des ultrascores : “Quand on dit scorer un film par exemple, ça veut dire faire la musique d’un film. Là c’est un ultrascore dans le sens où c’est un score qui est extrême puisqu’il se sert des sons mêmes de l’image qui est filmé. C’est l’inverse du score qui va chercher le hors champ ou l’intériorité des personnages.” Pour développer un peu, il s’agit de monter un film et de composer une musique qui ne se contente pas d’accompagner les images mais qui prend pour matière première les sons captés lors des prises de vue. Une bribe de séquence est ainsi mise en boucle, étirée et Chassol compose à partir de cette “mélodie”.  Et parce que cette description vaseuse n’est pas des plus limpides, voici un exemple ci-dessous.

Il travaille en outre à l’harmonisation des discours, une technique qu’il explique avoir volée à Hermeto Pascoal tandis qu’il cite le travail de Teo Macero avec Miles Davis parmi ses autres sources d’inspiration. On retrouve en effet cette transposition dans le champ musical de la science du montage qui vient donner un nouveau sens au son (et aux images dans le cas de l’ultrascore). On pourrait également citer les théoriciens du montage russe comme Eisenstein qui émancipent cette discipline des impératifs de narration (le montage ne sert pas uniquement à raconter une histoire avec des images animées) pour faire du montage un langage à part entière (ce langage produisant un nouveau sens en enchaînant deux images spécifiques). Là encore c’est un peu verbeux et un exemple vidéo sera beaucoup plus parlant, j’en retiens néanmoins que l’œuvre de Chassol est avant tout accessible et stimulante. Les articulations sont visibles mais le résultat conserve une part de magie irréductible.

Ce qui me frappe en recevant ces ultrascores c’est la profonde humanité qui s’en dégage. Je peux me tromper, mais je crois qu’il faut vraiment beaucoup aimer les gens pour les mettre en musique ainsi. Il ne s’agit pas de mettre en lumière “les p’tits bonheurs du quotidien” mais plutôt d’ouvrir un accès à une dimension presque spirituelle par la répétition et l’altération perceptible des moments captés par la caméra, le banc de montage et la composition de Chassol. Chou pourrait être pédant et distant mais non, l’humilité et l’humour des musicien·nes le portent ailleurs, jusqu’au regain de foi en l’humanité.

Chassol avait déjà présenté son Indiamore en 2017 au Botanique et pour Chou il se produit encore aujourd’hui avec le batteur Matthieu Edward, ce qui donne lieu à ce que je peux trouver de plus exaltant dans un concert de jazz (une musique qui me parle peu) : la joie enfantine de voir deux personnes interagir dans l’allégresse, se défier, se répondre, s’engrainer puis se retrouver. L’interprétation peut s’emballer mais respecte à tout moment un équilibre fébrile avec les images projetées afin que jamais l’un·e ne prenne le dessus sur l’autre. Ça a l’air éreintant rien qu’à l’écrire, pourtant ça coule de source pendant la représentation (difficile de se limiter au terme “concert”).  

En plus de ces différentes activités, Chassol est présent à bien d’autres endroits et fait office chez moi de présence récurrente, un peu rassurante et toujours enthousiasmante. Je suis toujours content de retrouver sa voix particulière, un timbre voilé ni grave ni aigu, dans ses chroniques sur France Musique. Je me réjouis de l’écouter me raconter sa vie au fil de disques chez Jack. Je piaffe même lorsqu’il se pointe pendant un concert de La Femme dans l’émission Ground Control qu’il présente sur Arte. En introduction comme en conclusion, Chassol c’est vachement bien.