Comme sorti d’un roman de Donald Ray Pollock, Josh T. Pearson est élevé dans la foi pentecôtiste et grandit avec cette musique faite de prières, de guérison divine et de transe. Voir à ce sujet le fascinant, et un peu flippant, documentaire Holy Ghost People de Peter Adair qui plonge de manière presqu’ethnologique au milieu d’une communauté pentecôtiste de Virginie-Occidentale et expose la foi qui anime ses fidèles en même temps que les transes qui rythment les messes pouvant durer plusieurs heures. Les mélodies mystiques des glossolalies marquent la musique de Pearson (en solo ou avec son groupe Lift To Experience) entièrement tendue vers l’épiphanie en combinant ces mélodies spontanées aux textures du shoegaze et du post-rock de l’époque. L’ensemble de son œuvre est traversé par cette vibration redneck à la fois assumée et contrariée, comme elle l’est souvent dans la pop culture, revendiquant l’identité white trash tout en bataillant avec cette dernière.
2017 est une année particulière pour Josh T. Pearson. The Texas-Jerusalem Crossroads, l’unique album de son premier groupe Lift To Experience, est réédité en grandes pompes avec un mixage totalement neuf et très différent de celui effectué à la va-vite et sans un rond une quinzaine d’années plus tôt. Lift To Experience se reforme alors pour quelques concerts avant que Pearson lâche son deuxième disque solo. Au fil des interviews, Pearson assume son inscription dans une lignée de songwriters ambitieux. Ayant la sensation d’avoir fait le tour du rock comme musique aux accents d’avant-garde, il se tourne vers les musiques du passé, qu’il s’agisse de country ou d’opéra. Estimant avoir suffisamment fait parler la foudre, il retourne à une musique plus cadrée même si toujours guidée par une vision, en l’occurrence : comment faire de la pop ? Pearson se fixe des règles, ses “five pillars of The Straight Hits”, pour atteindre son but et combattre ses propres habitudes d’écriture :
- All songs must have a verse, a chorus and a bridge.
- The lyrics must run 16 lines or less.
- They must have the word ‘straight’ in the title.
- That title must be four words or less.
- They must submit to song above all else.
Avec The Straight Hits, il condense effectivement le propos pour aller à l’essentiel. Au-delà de la demi-blague qui donne son titre à l’album, difficile de déceler des tubes évidents en dehors des deux chansons d’ouverture. Pearson n’a pas perdu son humour pince-sans-rire, en revanche il le tartine un peu partout et cette distance permanente finit par empoisonner la moitié du disque. Chez Lift To Experience, les passages les plus drôles étaient chantés avec la même conviction que les imprécations apocalyptiques. Sur The Straight Hits, les plus belles mélodies sont trop régulièrement détournées comme si Pearson se moquait de ses propres chansons, ce qu’il assume parfois en disant jouer de la country comedy mais sans s’y consacrer pleinement. Les promesses non tenues de l’album sont d’autant plus rageantes que ses réussites sont éclatantes. “Straight to the Top” et “Straight at Me” ressemblent fort à une manière moderne de raviver un peu cette musique limitée (et parfois complètement rincée) qu’est le rock, au moyen de passages par la country et… Devo. Pearson met de côté ses envolées aiguës à la Jeff Buckley et appuie sur la pédale de son accent texan mâchouillé en permanence. Il parvient encore à mener des chevauchées épiques et réussit même la chanson de clôture intimiste à la mélodie tremblotante comme une flamme de bougie (“Straight Down Again”).
Après la défaite initiale de Lift to Experience en 2001, il retourne là d’où il vient, au Texas, pour vivre de petits boulots tout en continuant à écrire. Il réapparaît à la fin des années 2010 avec, peut-être, son disque le plus difficile d’accès et le plus prompt à susciter le malaise. D’une certaine manière, c’est un disque d’un autre temps qu’on espère révolu, ce temps où un mec pouvait verser dans l’auto-indulgence le long de “chansons” (mais en sont-ce encore ?) de 10 minutes en moyenne où il crache sa peine, sa rage et son mépris à partir d’une rupture. Pearson parvient, par intermittences, à dégager une certaine puissance de tout ça (“Woman, When I’ve Raised Hell (You’re Gonna Know It)”) mais c’est dur d’être en empathie avec une misogynie aussi univoque étalée sur une heure entière de quasi-écriture automatique. Même si le musicien a depuis expliqué que la rupture contée concerne autant sa relation avec Dieu qu’une relation amoureuse terrestre, ça ne suffit pas. Pour une version réussie de Last of the Country Gentlemen, voir Blood on the Tracks (ok c’est facile mais pas moins vrai pour autant). Après Last of the Country Gentlemen, Josh T. Pearson disparaît de nouveau dans la nature. Comme Daniel Day-Lewis à une époque, il semble avoir une haute opinion du métier qu’il pratique tout en prenant régulièrement ses distances avec l’industrie culturelle au sein de laquelle il l’exerce.
Cependant, il arrive que les planètes s’alignent et The Texas-Jerusalem Crossroads de Lift To Experience est et restera sans doute le grand-œuvre de Pearson. Ce dernier a une vision et le double album a été conçu pour résonner au-delà des âges comme sa symphonie contemporaine à l’attention et à l’usage de Dieu. Heureusement, le parcours personnel de Pearson l’éloigne de la béatitude unidimensionnelle qui le ferait écrire un disque de rock chrétien parmi d’autres. Il s’agit bien d’un concept album prophétique racontant la venue de Dieu en Terre Promise texane mais il contient suffisamment d’humour et de premier degré pour être l’unique représentant de son genre. Il est d’ailleurs l’un des rares double albums à ne pas s’effondrer sur lui-même. Dans un geste so nineties, Lift To Experience met un point d’honneur à préciser qu’il joue avec une seule guitare, un peu comme Rage Against The Machine qui précise “no samples, keyboards or synthesizers used in the making of this record“. Le premier disque de The Texas-Jerusalem Crossroads s’achève sur un ressac de cymbales qui porte vers une illumination sans équivalent en dehors du “Psaume 23” de Daniel Darc.
Le deuxième disque s’ouvre avec “These Are the Days”, un titre qui appartient à la bande-son d’une rupture amoureuse dévastatrice à l’époque où j’ai découvert l’album, au milieu d’autres chansons qui m’ont convaincu que ce monceau de souffrance aurait, un jour, du sens. “These are the days that must happen to you“. Malgré la peine, ne jamais renoncer à vibrer. Et quoi de mieux que des crescendos de distorsion pour se faire l’écho de l’envie de vivre l’amour comme dans un roman russe ? (en gros, l’amour est un pouvoir surnaturel auquel vous ne pouvez pas échapper et à la fin, vous souffrez) Difficile de trouver dans The Texas-Jerusalem Crossroads des mélodies immédiatement accrocheuses mais celles qui sont éparpillées partout sur les deux disques récompensent la persévérance. A la même période, The Smashing Pumpkins me fournissait aussi son lot de rollercoasters saturés. Billy Corgan couinait avec la même conviction “love solves everything” et “love is suicide“, comme en réponse à mes oscillations intimes entre le bien-fondé de la rupture et le vide laissé par cette dernière.
Pearson dit écrire et enregistrer tout le temps mais n’a sorti que trois albums en 20 ans, tous radicalement différents les uns des autres et parfois frustrants dans le décalage entre l’ambition et l’exécution. C’est peut-être cette incomplétude qui rend son œuvre à la fois frustrante et fascinante. Ça et la prouesse de mêler l’intime à la foi pour une expérience en route vers l’universel.