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Wiz Khalifa – “No Sleep”: La fête est bientôt finie

Il y a des chansons qui ne prennent leur sens qu’à une période spécifique de l’année. Des mélodies hivernales vont se vouloir rassurantes comme environnement sonore de notre cocon tandis que d’autres seront au diapason de la dépression nerveuse induite par le manque d’ensoleillement. Le soleil justement invite selon l’instant à la torpeur et à la fête, enfin on en reparle quand la sécheresse annoncée sera là. C’est le temps des chansons et des artistes quelque peu inconséquents comme Wiz Khalifa. Globalement tout le monde déteste son premier album Rolling Papers, la faute aux prods colorées au stabilo fluo made in Stargate et aux gros synthés qui salissent le cool inébranlable du rappeur. Pourtant Wiz Khalifa n’a jamais brillé par sa profondeur et son bon goût, préférant rapper au kilomètre sa capacité surhumaine à consommer des onces de weed et à faire la fête comme sur “No Sleep”.

Alors petite question : c’est quoi faire la fête avec Wiz Khalifa ? Apparemment il faut ne pas avoir de taf et ne pas avoir besoin de dormir pour recharger les batteries de la productivité, jusque-là je suis. Ça pourrait être une teuf classique sauf que Khalifa passe tristement une bonne partie du clip tout seul à l’écran et quand il est entouré c’est dans une cave de béton éclairée au néon jaune pisse, le meilleur endroit pour se faire agresser par un reaper dans Blade II. Le rappeur a l’air content de pouvoir enfin rentrer en club, payer l’hôtel, la weed et l’alcool pour lui et ses potes mais il porte le smoking comme un petit garçon qui joue aux adultes devant le miroir de sa chambre.

Used to be too young, now I’m out here buying the bar
Everytime I look up, it’s another red cup

Sa petite revanche sur son adolescence sonne un peu dérisoire et son court triomphe a le parfum des premières sorties en boîte. Témoins d’une époque où les lendemains paraissaient pouvoir encore chanter quelques années, Amber Rose et Mac Miller font des apparitions dans le clip de “No Sleep” comme pour rappeler un temps où la fête se conjuguait au présent éphémère.

Avec sa mélodie sucrée comme une Budweiser dans un gobelet rouge, “No Sleep” est d’ailleurs la queue de comète du punk à roulettes. Les drogues sont à peu près les mêmes avec la prédilection particulière de Khalifa pour la weed, des drogues plus légères que la lean qui s’apprête à envahir la pop mainstream dans la décennie à venir. Wiz Khalifa vit quant à lui dans le même monde que Blink-182 et ce pas uniquement parce que sa voix triturée ressemble ici à s’y méprendre à celle de Mark Hoppus. Les gars de Blink rentrent rarement dans les fêtes qu’ils chantent souvent depuis l’autre rive du cool estudiantin. Comme eux, Wiz Khalifa joue les éternels adolescents attardés pour qui la teuf est circonscrite au week-end, à l’inverse d’une Ke$ha vivant une fête sans fin et d’un Future se barrant sur Pluton à l’aide de psychotropes tous plus puissants les uns que les autres. Raisonnable jusque dans les substances consommées, Khalifa est une porte de sortie aux limbes de la défonce triste où se morfond déjà The Weeknd en 2011 quand sort Rolling Papers.

La fête dans le rap mainstream est alors sur le point de muter pour se mettre au diapason de l’effondrement post-crise de 2008, ce qui fait de Wiz Khalifa un des derniers moments rappeurs ayant l’air content de faire la fête et d’être là. Sa fête a un lendemain et reste ancrée dans le “monde réel” auquel elle permet d’échapper le temps d’une nuit. Aujourd’hui une chanson reste, à ma connaissance, à écrire : celle de la fête hivernale quand tout le monde veut se pelotonner chez soi et que n’osent sortir que les vrai·es et les gens un peu en chien.