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Musique Portrait

Billy Nomates: Seule jusqu’à nouvel ordre

Pourquoi ne pas se tirer une balle dans le cœur aujourd’hui ? A cette bonne vieille question la réponse du jour est qu’il y a toujours une grande chanson à découvrir. Par exemple “Blue Bones (Deathwish)” qui tente de nous rappeler que, passé ce mauvais matin, cette mauvaise semaine ou cette mauvaise année, la mort est un peu moins excitante qu’elle n’en avait l’air.

La première écoute de Billy Nomates de mon côté est évidemment son featuring sur “Mork n Mindy” de Sleaford Mods en 2021 où sa voix chuchote presque en crevant l’écran dans le clip (puisqu’apparemment les années 80 n’ont jamais pris fin on continue à tourner des vidéos musicales). Son nom de scène lui-même est, selon la petite histoire, inspiré par l’insulte d’un pauvre type à un concert de Sleaford Mods qu’elle était venue voir seule, sans potes donc. C’est d’ailleurs bien cette histoire de lien entre Billy Nomates et le groupe de Nottingham qui constitue la porte d’entrée vers sa musique, entre l’apparition de Nomates sur Spare Ribs ou le tour de chant de Williamson sur le premier album de la musicienne (“Supermarket Sweep”). À l’heure où le gorgeoir de l’industrie musicale nous gave chaque vendredi de nouvelles sorties que tout le monde peine à suivre, en ce moment où l’on se demande à quoi la presse musicale peut bien encore servir, le travail qui consiste à raconter des histoires autour de la musique demeure un moyen d’amener cette dernière jusqu’à nos cerveaux saturés.

Et cette histoire n’est pas très éloignée de celle que racontent le parcours et la musique des Anglais·es dont il est ci-dessus question. Souvent réduit·es à des porte-voix de la classe prolétaire pour la simple raison que Jason Williamson et Billy Nomates ne camouflent pas leur accent (toujours un marqueur fondamental dans nos sociétés stratifiées), ces artistes disent surtout la difficulté de travailler le jour pour le salaire minimum et de jouer de la musique la nuit, un jeu où les dés sont pipés dès le départ comme l’indique Nomates en interview : “A lot of the London lot, they’ve come from really good music colleges, they’ve had leg up after leg up. It’s not a fair playing field and it never has been. You can pour your soul into stuff, but it actually just doesn’t matter“. Au travers de l’esthétique déployée par la musicienne c’est le vieux débat interne à la pop sur l’authenticité qui se trouve réactualisé. Si l’obsession des acteur·ices du rap pour la street cred s’est calmée ces derniers temps (y a qu’à voir Beyoncé et Jay-Z au Louvre vendu·es comme des modèles d’empuissancement) la pop anglo-saxonne est toujours explicitement travaillée par ces questions. Les vignettes post-punk chantées par Billy Nomates sur son premier album racontent une vie en léger décalage avec les idéaux libéraux, à la fois distanciée et envieuse de ces derniers, sans romance mais avec un rictus de dégoût ironique (“Hippy Elite”). Trouver mon compte dans ce genre de chansons vient forcément questionner ma forme de fétichisation des classes populaires dont les œuvres détiendraient une forme d’authenticité (parce qu’elle décrive des vies correspondant à celles d’un grand nombre de personnes?) avec ce que ça comporte de fantasme d’un matériau brut tout en gardant des distances esthétiques. Je ne sais pas trop comment me débrouiller avec ça pour le moment.

Puisqu’on parle d’authenticité, Billy Nomates se qualifie de no-waver et respecte pas mal de préceptes Do It Yourself en composant, interprétant et enregistrant presque seule toutes ses chansons. Une ligne de basse, une rythmique et son chant à la fois rêche et mélodieux. Persuadée qu’elle avait de toute façon quelque chose à dire malgré les échecs de ses différents groupes dans les années qui ont précédé, elle s’arme d’un laptop à la fin des années 2010 et se forme sur GarageBand pour enregistrer ses démos et ses albums entre un studio et l’appartement de sa sœur. C’est ce qui fait toute la beauté de cette musique dont le caractère ascétique ne la rend que plus accrocheuse dans ses atmosphères claustrophobes issues de ses conditions de production et du contexte de la pandémie COVID-19. Billy Nomates ça n’est pas que des éructations de rage (mais y en a), plutôt des accents de tendresse narquoise entre Alanis Morissette et le Bob Dylan de Blood on the Tracks au fur et à mesure que son chant s’éloigne du sprechgesang pour embrasser pleinement ses propres mélodies sur son deuxième album moins Subway Sect que Duran Duran. Le prosaïsme des situations décrites dans Billy Nomates tend de plus en plus vers l’abstraction sur CACTI tandis que le son se fait plus expansif avec davantage de profondeur de champ.

Malheureusement l’esthétique DIY a ses limites et l’aspect linéaire des productions de Nomates leur permet difficilement de tenir la longueur sur ses albums qui se révèlent un peu plats. Sur scène en revanche la musicienne est fascinante avec un laptop pour seule compagnie, à se démener et s’époumoner comme une héroïne no wave, sa danse déstructurée comme un écho à sa dyslexie. Ses chansons prennent une dimension épique tandis que Nomates ne compte que sur elle-même pour les présenter au monde puisque payer un groupe pour l’accompagner en tournée n’était pas concevable en ces temps de Brexit post-pandémie. Elle transmet une joie irrépressible et contagieuse à être là alors que le monde (en ce qu’il est inégalitaire envers les pauvres et les femmes, entre autres) dit qu’elle n’y a pas sa place. Cela dit, et sans (trop de) snobisme, ça fonctionne tant que la scène n’est pas trop vaste car après tout, même le numéro de Laurel et Hardy enfermés dans une cave punk joué par Sleaford Mods perd de son intensité dans une grande salle. Alors il faut aller voir et écouter Billy Nomates maintenant avant que tout ne soit devenu trop grand autour d’elle. Quoique, elle aura peut-être suffisamment de thunes pour faire venir un groupe ce jour-là.