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Musique Portrait

Porno for Pyros: produit de substitution

La coprophagie de l’industrie musicale a encore frappé : Porno for Pyros s’est reformé en 2022 et a annoncé travailler sur de nouveaux morceaux via Instagram. Une visite sur le compte du groupe confirme d’ailleurs le caractère un peu morbide de cette reformation puisqu’il est essentiellement constitué de photos datant des années 90, soit la première période d’existence de Porno for Pyros et son seul moment de créativité (à ce jour). Même s’il restera sans doute toujours dans l’ombre de son illustre prédécesseur Jane’s Addiction, le deuxième groupe de Perry Farrell mérite qu’on s’y attarde un peu.

Porno for Pyros naît vers 1992, à la suite de la démise de Jane’s Addiction qui réunissait Perry Farrell, Dave Navarro, Eric Avery et Stephen Perkins. Est-ce que ce premier groupe a réellement inventé le son du rock alternatif 90s avec quelques années d’avance comme c’est souvent raconté ? Pas sûr, en revanche sa signature sur Warner Bros, à l’époque où les Pixies et Hüsker Dü restaient coincés dans l’underground, a prouvé aux majors que ce son pouvait passer en radio et rencontrer un certain succès sur MTV. Le groupe arrive avec des albums géniaux et un storytelling en béton où chacun des membres de cette famille dysfonctionnelle traîne des casseroles traumatiques remplies à ras-bord, tandis que son imagerie fait un pas de côté vis-à-vis du glam metal et de la pop synthétique de garçons coiffeurs, sans pour autant nier la soif de célébrité. La dissolution de Jane’s Addiction au sommet de sa petite gloire dès 1991, au moment où ce fameux rock alternatif explose commercialement, vient parfaire son aura de légende (au moins jusqu’aux multiples et piteuses reformations qui auront lieu ensuite). Perry Farrell, de son côté, commence à croire réellement à son nouveau statut d’éminence de l’alternative nation notamment acquis en tant que figure de proue du festival itinérant Lollapalooza qu’il organise et qui accueille les derniers concerts de Jane’s Addiction lors de sa première édition en 1991.

Dans la lignée du souhait de Farrell de transformer les concerts en “performances”, avec ce que ça comporte de prétention un peu inepte, son nouveau groupe Porno for Pyros fait honneur à son nom en intégrant des éléments extra-musicaux à ses concerts comme des cracheuses de feu. L’ex-chanteur de Jane’s Addiction réunit autour de lui son ancien batteur Stephen Perkins avec Peter DiStefano (guitare) et Martyn Lenoble (basse), d’illustres inconnus qui ne risquent pas de lui faire de l’ombre ou de remettre en cause sa mainmise sur SON groupe. Supposément inspiré par une publicité pour des feux d’artifices trouvée dans un magazine pornographique, le nom du groupe inclut, via les paroles de la chanson-titre, des références aux révoltes urbaines qui ont lieu à Los Angeles en 1992. Perry Farrell semble avoir toujours voulu incarner une certaine idée de L.A., quitte à passer pour le “bouffon bourré” (© Lester Bangs), rôle endossé par Jim Morrison avant lui avec ses aphorismes boursouflés et ses blagues potaches.

Porno for Pyros souffre à ses débuts du mal qui afflige les groupes de gens connus. D’une part, il est très voire trop tôt sous les projecteurs et un des premiers concerts fait l’objet d’un compte-rendu dans Rolling Stone alors que le groupe ne joue ensemble que depuis deux mois. D’autre part, il pâtit de la comparaison avec Jane’s Addiction puisqu’une partie des chansons de l’album Porno for Pyros datent de l’époque du groupe précité. Perry Farrell et ses nouveaux compagnons tentent des choses mais ont du mal à couper le cordon. Les morceaux, à défaut d’un autre terme, “rockent” mais le songwriting est souvent à la peine et Porno for Pyros sonne encore plus comme un produit de substitution à Jane’s Addiction que ce qu’il n’est déjà. Peter DiStefano n’essaie heureusement pas de faire oublier Dave Navarro et met plutôt sa guitare en retrait pour appuyer très fort sur la pédale wah-wah en laissant toute la place à l’axe basse-batterie autour duquel se structurent les chansons de l’album (“Blood Rag”, “Cursed Female”). Perry Farrell a parfois la rage (“Packin 25”) et sait encore écrire quelques chansons où Stephen Perkins s’en donne à cœur joie comme c’est visible lors du concert à Woodstock en 1994. Le chanteur frontman est au meilleur endroit pour jouer son rôle de gourou du rock alternatif, à la jonction entre la volonté de solder les comptes de l’idéalisme des baby-boomers (Alice in Chains), la réussite du plan marketing qui rend cool la dépression adolescente (Nirvana) et les lambeaux de contestation contre-culturelle (Pearl Jam). Comme la suite le démontrera encore plus précisément, Farrell oscille de manière quasi schizophrénique entre le hippie béat le plus sincère et l’entertainer hollywoodien le plus cynique.

Réunissant sur scène clowns, mimes, danseuses, strip-teaseuses et cracheuses de feu en plus du groupe lui-même, les shows (car c’est bien de ça qu’il s’agit) de Porno for Pyros montrent la volonté de mélange des genres entre rock et cabaret pour aboutir à un joyeux bordel circassien. Côté musique c’est la chanson “Pets”, la plus aboutie sur le plan de l’écriture, qui montre la voie pour la suite : celle de l’apaisement. Le groupe trouve son identité lors du deuxième album qui paraît en 1996. Martyn Lenoble est déjà parti pour des questions tenant à la fois aux consommations de drogues et à la répartition des droits d’auteur, exactement les éléments ayant mené à la dissolution de Jane’s Addiction. Plusieurs bassistes viennent compléter les prises, dont Mike Watt des Minutemen et Flea des Red Hot Chili Peppers. Ce dernier apparaît d’ailleurs sur l’anecdotique “Freeway” en compagnie de Dave Navarro, ex-Jane’s Addiction depuis recruté chez les Red Hot, entérinant la relation adultérine entre les deux groupes qui culminera avec la reformation de Jane’s Addiction l’année suivante avec Flea à la basse. Quitte à faire jouer ensemble les trois quarts du groupe, autant le faire sous un nom qui ramène le public et la caillasse.

En attendant, Porno for Pyros sort avec Good God’s Urge un vrai disque de hippies. Perry Farrell n’a jamais caché ses penchants orientalistes un peu gênants (il n’y a qu’à voir le clip de “Tahitian Moon”) mais bizarrement ça fonctionne ici, malgré ou grâce au goût douteux de Farrell pour les religions indiennes. Il suffit de comparer la version de “Urge” jouée à Woodstock 94 avec celle qui se retrouve sur l’album, passant d’une urgence chaotique à une rêverie gazeuse qui bascule dans le rockabilly. Comme chez Primal Scream à la même époque, la musique est finalement assez passéiste voire réactionnaire, elle se nourrit de genres classiques (rockab, folk, calypso) qu’elle met au goût du jour en les ornant de samples qui couinent, hurlent et chuchotent en permanence. Il n’y a pas de solo de guitare flashy ni de morceau de bravoure mais plutôt une continuité avec le “Summertime Rolls” de Jane’s Addiction. L’ambiance est à la glandouille estivale sur la plage. Les chansons dodelinent doucement au gré de leurs good vibes avec un savoir-faire certain dans les ballades acoustiques. Perry Farrell essaie toujours de nous convaincre qu’il est un vrai hippie en collant des signes bouddhistes dans tout le livret du disque alors que c’est surtout un toxicomane qui a envie de baiser. Son arme secrète reste cependant de savoir écrire des chansons d’amour touchantes (“100 Ways”, “Bali Eyes”) qu’il chante de sa voix d’enfant gorgée de réverb. C’est en étant le moins “rock” possible que Porno for Pyros sort ce qu’il a de meilleur. Il ne s’agit évidemment pas de faire croire à quiconque que Good God’s Urge est un joyau caché, Porno for Pyros demeure un groupe de rock mineur. Mais de temps en temps, c’est bien de laisser de côté les chefs-d’œuvre et les Everest intimidants pour explorer les chemins de traverse à la séduction plus discrète.

Quand Peter DiStefano doit se retirer pour prendre soin de sa santé en 1997, Porno for Pyros prend fin, d’autant que les autres membres sont partis reformer Jane’s Addiction entretemps. En 2022, le line-up originel est de retour sur scène pour des représentations aussi tristes que n’importe quelle reformation où le groupe joue avec un son clinquant récuré à la javel. Perry Farrell a définitivement embrassé son côté obscur de businessman (qui était déjà bien présent dès les débuts de Jane’s Addiction) en faisant son beurre de la nostalgie d’un public peu regardant. Jane’s Addiction tenait de grands discours sur l’intégrité face à l’industrie musicale mais voulait désespérément intégrer son univers, tout comme Farrell voulait le beurre et l’argent du beurre, ce qu’il a fini par obtenir : incarner pendant un court instant une forme d’alternative au mainstream de son époque tout en profitant des privilèges de l’establishment rock californien. À la vue de ses pommettes aujourd’hui rehaussées au botox, ne vient qu’une triste idée : le showbiz est plus fort que toi, petit.