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Nayra: Lady in paillettes

Il paraît que plus personne ne regarde la télé désormais. C’est peut-être vrai pour ce qu’on a appelé le sacro-saint “petit écran” mais, de même qu’une bonne part du contenu alimentant les plateformes est produit par les chaînes TV, la télévision reste prescriptrice en termes de format. Bien que produit par Netflix, Nouvelle École est un télé-crochet musical (la belle expression des années 2000) tout ce qu’il y a de plus classique dans la forme qui n’a rien changé à la musique de Nayra mais qui a tout bouleversé dans sa “carrière” grâce à sa force de frappe médiatique. Et c’est bien tout ce qu’on peut souhaiter à l’artiste, avec le soutien efficace de gens comme la journaliste Nesrine Slaoui qui, magie des réseaux et comme vous l’aurez compris, m’a fait découvrir “Le Nord” au détour d’une story sur Instagram.

Nayra dit, pour sa part, avoir bien vécu l’expérience du casting Nouvelle École, peut-être parce qu’elle avait déjà largement tracé la route qu’elle voulait emprunter. D’Oum Kalthoum pendant l’enfance à Niro et Lacrim à l’adolescence, c’est la même sensibilité qui s’exprime dans un monde où les hommes pleurent plus facilement devant un micro que devant un miroir. Quand elle adapte des tubes misogynes comme “Je ne dirai rien” de Black M (déjà bien cringe à sa sortie) c’est pour se “réapproprier les termes et les changer“. Étudiante en master “Industries culturelles et créatives” (poke Theodor Adorno), si elle dit “fuck l’industrie c’est trop instable” c’est en connaissance de cause et sans doute plus nuancé qu’il n’y paraît. Au surplus de ce qu’elle incarne, il y a chez elle cette réflexivité exaltante, une conscience de ce qu’elle fait et de ce dans quoi elle s’inscrit, la rage au ventre et le sourire pailleté aux lèvres.

Partout revient le motif du chemin parcouru, du triomphe de “Touàiep” au vague à l’âme du titre “Le Nord”, avec la musique comme lien aux pays d’origine, si pas pour elle en tout cas pour ses deux parents déracinés de leurs Égypte et Maroc natals. Avec sa maîtrise de l’autotune, Nayra fait d’ailleurs le pont entre les musiques rap et les musiques arabes (pour le dire vite). Loin de gommer les particularismes locaux et régionaux dans une standardisation extrême, elle utilise l’autotune pour souligner les traditions musicales faites de changements de hauteur dans le chant et de trémolos vifs ici rehaussés par l’électronique. Elle pose ses phases de “chanteuse de rap” (selon ses termes) en descendance directe de sa bien-aimée Lauryn Hill, chantant les couplets et kickant les refrains ou l’inverse. Elle puise aussi dans le patrimoine du rap, qu’il s’agisse de garder la performance au premier plan en héritage des freestyles ou de montrer avec “Zmagria” que le storytelling, un format un peu tombé en désuétude ces temps-ci, est apparemment toujours d’actualité pour certaines jeunes générations.

Ce soir de janvier, tout le monde est venu se réchauffer et j’ai vachement peur de me sentir très vieux dans l’AB Club bruxellois avant le concert de Nayra. Heureusement, je repère des calvities et des cheveux blancs dans le public, c’est peut-être ça qu’on appelle l’inclusivité. Seule sur scène avec sa DJ sans backs pour la soutenir, elle dégage une forme de croyance métaphysique en sa propre force sans jamais oublier les autres, les proches comme les inconnu·e·s. L’audience, et moi le premier, est d’abord légèrement décontenancée par les discours un peu “coach en développement personnel” que Nayra lâche entre deux morceaux mais elle parvient à installer une intimité avec la salle toute entière et finit par laisser la place aux instrus qui tournent pour faire danser les corps sur des grosses basses qui font vibrer les côtes. C’est presque désarmant de faire face à autant d’émotion sans filet, cette chanteuse de rap qui fait ses concerts une boîte de mouchoirs posée à côté des platines.

Fuck la rétromania, Nayra fait partie des gens qui donnent envie de décrire ce qui est en train de se passer, ici et maintenant. C’est d’autant plus jubilatoire de pouvoir y adhérer entièrement et aimer l’œuvre d’artistes qui parviennent à saisir la beauté du monde ET à en faire partie. Le combat a une issue : l’amour, quand ce monde commence à trop puer de la gueule.