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Opinion – Horrible: le meilleur moment c’est maintenant

Alors que la presse musicale demande chaque matin à son miroir si elle sert encore à quelque chose, les nouveaux mécanismes de prescription, si imparfaits soient-ils, tournent à plein régime. Il y a des choses pour les plus jeunes auxquelles je ne comprends strictement rien comme les trends TikTok et il y a les suggestions algorithmiques basées sur ce qu’on aurait déjà écouté voire apprécié. A ce petit jeu, Bandcamp fait un pas de côté un peu à l’ancienne en suggérant des disques sortis sur des labels dont on aurait déjà acheté les parutions précédentes. La plateforme s’appuie sur l’intérêt qu’on peut porter à l’identité d’un label comme à la grande époque de Dischord Records, une posture un peu désuète mais qui fait de nouveau son chemin même dans le rap avec une proposition comme Sublime, label fondé par Disiz à l’identité sonore construite par LucasV. Suivant l’aiguillage de Bandcamp vers un nouveau disque sorti sur Flippin’ Freaks, nous voilà avec Horrible d’Opinion.

A la fois déclaration bravache et argument de vente so nineties, Horrible se présente comme le projet d’un type seul dans sa chambre un soir de Nouvel An à enregistrer ces onze chansons en une nuit sans ampli ni pédale d’effet, de la pop de chambre d’un nouveau genre. Avec son ethos DIY pris au mot et poussé dans les derniers retranchements de ce qu’il est possible de faire seul avec une guitare et un ordinateur, Opinion redonne un peu de son sens et de son intérêt à l’esthétique lo-fi au-delà de la simple esthétique justement pour la rattacher aux contraintes de production laissant jaillir la créativité.

Partout sur Horrible c’est une bedroom pop absolument assourdissante même jouée à faible volume. Comme dans sa chambre de (plus si) ado on peut laisser éclater la joie enfantine de jouer trop fort jusqu’à se faire bourdonner les oreilles. Les vocaux ensevelis sous les couches de mix semblent nous autoriser à jouer avec eux en inventant nos propres lyrics à hululer en plein milieu de la nuit. Le cœur bat plus vite tout d’un coup aux premières secondes de “My Whole Life” avec ces vrilles d’harmoniques qui percent le brouillard et cette croyance en la puissance un peu sacrée du riff (“It Hurts Sometimes”), cette condition nécessaire mais non suffisante du rock.

Horrible confine au psychédélisme vaseux comme après avoir bu de la codéine au mauvais moment et le folk dévasté de “Dusthorses” ouvre sur des étendues désertiques aux contours déformés par les substances. Le mur de son artisanal fait le lien avec la terreur enregistrée sur magnétophone 4-pistes et photocopiée à la Xerox du black metal. Perdu dans une forêt de racines et à force de solitude on finit par entendre des voix. Des voix bruissant entre les branches noueuses qui murmurent puis croassent et nous agonisent finalement d’insultes incompréhensibles dans une langue inconnue (l’intense et presque suffocant “Talking About Yourself”).

Pour apporter un premier élément de réponse à la question de départ, la presse musicale au sens large sert au moins à ça: partager des enthousiasmes, peut-être avec parfois trop d’emballement mais en l’occurrence assez cohérent avec un disque enregistré en une nuit. Se dire que la musique c’est mieux maintenant et que j’ai tenu jusqu’ici sans mentionner le fait qu’une des chansons s’intitule “Smashing Pumpkins” (emoji petitbonhommequisautedejoie).