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Damso – QALF

QALF c’était le grand retour de Damso en 2020, lui qui annonçait en 2019 que “l’album le plus attendu d’l’année sortira pas c’t’année“. Il a depuis augmenté sa mixtape devenue album avec une extension Infinity comme c’est devenu habituel pour relancer les ventes et les streams afin d’atteindre un disque d’or ou de platine (si ces accomplissements signifient encore quelque chose). On se concentrera ici sur la 1e partie, peut-être la plus surprenante.


Avec le recul 2017 fut l’année de Damso. C’est simple, il semblait être partout. En plus de son premier album revendiqué comme tel Ipséité, il apparaissait sur nombre de singles en lâchant des feats techniques sur “Mwaka Moon” de Kalash et en se permettant de mettre à l’amende Booba sur son propre album dans le morceau “113” (il est loin le temps où le Duc de Boulogne faisait de l’ombre à n’importe quel rappeur sur n’importe quelle prod). PNL étant parti aux champignons cette année, Damso planait au-dessus de la mêlée du rap francophone qui produit des titres à la chaîne en faisant rimer des noms d’applis avec des marques de sacs à main. Il est revenu très (trop ?) vite en 2018 avec Lithopédion pour creuser le même sillon, hésitant entre bangers rap et tentatives gentiment tournées vers la chanson. Sans avoir pris le temps d’approfondir ses envies, il recyclait surtout beaucoup d’idées d’Ipséité (“Kin La Belle” / “Même Issue”, “Λ. Lové”/ “Aux Paradis” …) et donnait la sensation de faire du surplace, ce qui est quand même un peu la honte pour un rappeur qui prétend innover. Damso semble donc avoir pris le temps pour présenter QALF, au départ annoncé comme une mixtape pour finalement constituer un album à part entière.


À partir de là, celles et ceux qui espéraient encore un retour du kickeur sale de Batterie Faible en seront pour leurs frais tandis que les personnes qui voyaient en Damso un rappeur aventureux pourraient être ravi·es. Peu de cohérence dans QALF mais plutôt un éclatement revendiqué, chaque titre venant presque prendre le contre-pied du précédent. Il y a donc à boire et à manger là-dedans et pas sûr que ce soit toujours à la hauteur. On aura beau jeu de louer les grands écarts entre le rap sombre de “Life Life” et le quasi piano-voix larmoyant de “Deux Toiles de Mer”, le tout laisse un arrière-goût d’inachevé. À vouloir partir dans toutes les directions, Damso n’en explore finalement aucune réellement. “Coeur en Miettes” pourrait être un hybride réussi mais sonne comme une démo avec Damso qui fait mumuse sur une batterie Fisher-Price. Plusieurs titres passent sans exciter et on finit par se demander comment un disque attendu depuis plusieurs années peut sonner comme une transition et pas quelque chose d’abouti. Il y a là beaucoup d’esquisses, des bribes de ritournelles qui passent pour des trouvailles mélodiques grâce un gros travail de production alors qu’elles affichent surtout une banalité de premier ordre (“BPM”, “Sentimental”).


Plusieurs titres viennent heureusement relever le niveau, soit grâce à un featuring de qualité comme celui de Fally Ipupa sur “Fais Ça Bien”, soit en calant sur des rythmiques basiquement rap une interprétation moins frontale que prévue (“D’jà Roulé”). Et puis il y a “Rose Marthe’s Love” qui actualise enfin les promesses d’innovation musicale et déroule des lyrics suffisamment touchants pour retrouver une intensité qui peine à apparaître tout au long de l’album. En abandonnant une bonne part de leur dégueulasserie, les punchlines de Damso se vident aussi de leur substance, à savoir une incarnation contrariée de la masculinité toxique. Déblatérant les mêmes conneries misogynes que la majorité du rap francophone, lui n’avait pas l’air satisfait de ça. Il y avait une intensité sur Ipséité qui s’est amoindrie en quelques années.


Les expériences musicales du rappeur l’amènent jusqu’à la variété française eighties et c’est quand il va à fond dans son trip Michel Berger sur “911” qu’il est pleinement satisfaisant. C’est cheesy, ça dégouline de partout et c’est bon. À chaque fois qu’il touche juste, Damso contribue à inventer la nouvelle chanson française, celle qu’on a envie d’entendre aujourd’hui. Il fait un peu avancer les choses comme ont pu le faire les groupes du renouveau pop française il y a quelques années (La Femme, Mustang, Aline). C’est ce qui fait du rap, quand il est porté par des gens convaincus, la musique pop la plus excitante à l’heure actuelle.


Même avec un QALF en demi-teinte, Damso surnage comme le gros poisson de la petite mare d’un rap francophone qui se contente trop souvent de peu. Certes il y a de vraies réussites sur ce disque mais en réalité l’équilibre idéal avait été atteint en 2017 et Ipséité c’est juste dix fois mieux.