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Musique Portrait

Orelsan: on a les pop stars qu’on mérite

Grande nouvelle de la fin de l’année 2021, Orelsan est enfin devenu une véritable pop star. Il était déjà un rappeur mainstream, avec une percée significative en 2012 accompagnée de véritables tubes en radio/stream. Il disait néanmoins lui-même que sa notoriété n’avait pas connu la même explosion que celle des autres artistes présents sur « AVF » (Maître Gims, Stromae). Qu’est-ce qu’une pop star ? Un·e artiste capable de rassembler les genres et générations autour d’éléments fédérateurs dans le champ de la pop culture. Le statut actuel d’Orelsan est ainsi l’aboutissement d’un long processus. Par contre l’amour soudain de la start-up nation pour le marketing du rappeur, on n’avait pas signé pour ça. 

Dès 2009 Perdu d’Avance va chercher le tube radio et se trouve estampillé « album générationnel » parce qu’il brasse la misogynie crasse, les références geek et la masturbation avec la même obsession que la série Bref. Fuzati, toujours le premier quand il s’agit de miauler, déplore dans le documentaire Un Jour Peut-être que le rap alternatif qu’il a porté avec d’autres soit alors récupéré en tant que formule édulcorée par le rappeur caennais avec un réel succès commercial. Orelsan aurait rendu le « rap spé » accessible aux masses (quelle horreur). Face à ces accusations, ce dernier avance qu’il a avant tout les mêmes références que Fuzati et la suite prouvera que la force d’Orelsan sera de digérer et calibrer l’underground sans totalement l’affadir.

En attendant, la percée mainstream d’Orelsan a surtout trait aux polémiques qui entoure ses titres les plus repoussants. Il y a « Saint-Valentin » et davantage « Sale Pute » pour lequel il est condamné pour « provocation à la discrimination, à la haine et à la violence » contre les femmes avant une relaxe par une cour d’appel en 2016. Le fameux aspect « générationnel » nous fait passer des vessies pour des lanternes et la violence misogyne et homophobe pour une perte de repères du côté de la jeunesse. 

2012 confirme le succès mainstream. Orelsan a grandi, la presse parle d’« album de la maturité » (oui, je vais vous ressortir tous les poncifs) pour Le Chant des Sirènes qui fait le point sur le pognon amassé, les envies d’adultère avec déjà quelques poussées vers des thèmes plus sociétaux aux airs de défouloir. Il remporte la Victoire de la Musique du « meilleur album de musiques urbaines », soit l’adoubement par les professionnels de la profession et la possibilité de toucher de nouveaux publics plus familiaux, ce que fera très bien un tube comme « La Terre est Ronde ».  

Orelsan occupe le terrain dans les années qui suivent même sans album en son propre nom : album des Casseurs Flowters avec Gringe, film Comment C’est Loin avec Gringe, série Bloqué avec, mais oui, Gringe… Quand La Fête est Finie arrive en 2017, Orelsan a passé la trentaine et rebelote pour l’album de la maturité (le deuxième donc) d’un type qui, même s’il a toujours voulu être Michael Jackson, vieillit avec son public (je ne suis pas sûr d’assumer cette référence mais Orelsan oui, donc ça passe). Le temps qui s’écoule, la saudade vis-à-vis de Caen, l’amour hétéro classique: les thèmes de l’album prennent de l’âge avec leur auteur et leur public. Un peu comme un bouquin de Harry Potter, Orelsan parvient à sortir des disques générationnels qui vieillissent en même temps que les générations en question. Entretemps, il a confiné les phases misogynes et homophobes aux albums des Casseurs Flowters et propose sur La Fête est Finie des lyrics plus à même de toucher le plus grand nombre.  

Non content de maintenir son succès public, Orelsan assume son ambition de pop star tant dans la scénographie des concerts que dans la performance livrée, en tenant la scène sans backs ni featurings là où un pacson de rappeurs dodeline pendant 30 minutes de play-back. Après toutes ces années il dispose à la fois des moyens financiers de proposer des shows dans ce qu’ils ont de plus généreux et du répertoire adéquat pour péter le mic deux heures durant. A ce titre, Civilisation paru en 2021 voit Orelsan endosser un costume trop grand pour lui (rien que ce titre d’album) tout en confirmant sa capacité à accrocher un nouveau public via des tubes qui tractent chaque nouveau disque. Orelsan existe aujourd’hui en tant que pop star fédératrice sans jamais avoir renié ses fondamentaux rap grime et pop eighties (pour le dire très grossièrement). Pas si mal pour quelqu’un qui parlait avant tout de se faire ouij en moins de 5 minutes avec eMule.