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The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert: des ploucs et des plumes

J’imagine que l’idée de cet article ne vient pas de nulle part vu que le zine Le Gospel (auquel je participe tavu) vient de lancer sa série d’articles Insomnia à propos des films qu’on regarde encore et encore dans une compulsion peut-être pas toujours saine. Ça faisait bien longtemps que je n’avais pas vu The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert de Stephan Elliott, depuis l’enfance en réalité, et c’est une bonne occasion d’inaugurer la rubrique cinéma de ce site.

Le film se déroule chez les plus ploucs des ploucs selon la hiérarchie anglo-saxonne, soit en Australie, cette terre utilisée par le Royaume Uni comme colonie pénitentiaire après la perte des États-Unis et le massacre des natifs aborigènes. Pour aller plus loin encore, la majeure partie de l’histoire ne se déroule pas dans les villes mais dans le désert du bush australien avec ses bleds paumés de rednecks. Tick, Adam et Bernadette, 3 performeuses drag queens, acceptent un engagement pour des shows bookés par l’ex-femme de Tick à l’autre bout du pays et embarquent dans un bus baptisé “Priscilla, Queen of the Desert” pour leur traversée du désert justement. Ce sera donc un road trip (genre étasunien s’il en est) au son des tubes disco utilisés pour leurs performances avec pour objectif affiché de gravir le King’s Canyon habillées en queen.

Si le cadre du film est le road trip, il s’accompagne évidemment de rencontres au fil de la route et c’est avec un plaisir sans cesse renouvelé que Bernadette (incarnée par Terrence Stamp) défonce ses adversaires dans des concours de shots et des rixes sur des parkings. Il est aussi surprenant que réjouissant de voir Hugo Weaving (l’agent Smith putain !) se débattre avec les différents pans de sa vie qui résultent, comme tout un chacun, de choix plus ou moins heureux et de dérives qui apparaissent un beau jour où on se regarde dans une glace en se demandant comment on en est arrivé là. C’est peut-être ici que Priscilla rejoint par des chemins détournés les rangs des vrais bons films (malgré ses défauts, j’y reviendrai) en explorant des thématiques à la fois contemporaines et universelles. Le personnage de Tick est tout ce qu’il y a de plus banal et son boulot de performeuse à Sidney l’ennuie assez pour se lancer dans un périple vers l’autre extrémité du pays. Il a dans ses valises une relation avec son ex-femme et surtout avec son fils à renouer voire à construire tout à fait. Il est en cela une porte d’entrée vers une certaine normalisation (dans le bon sens du terme) des performeuses drag queens dans ce film de 1994.

Adam vient imposer à coups de masse son décalage vis-à-vis de la norme. Qu’elle repeigne en rose éclatant le bus pour masquer l’inscription “AIDS fuckers go home” ou qu’elle déclenche une baston en draguant un homophobe, jamais elle ne s’excuse d’être là. Fanatique d’ABBA au point de conserver dans une fiole de verre un excrément récupéré dans les toilettes après un concert, elle est au diapason de chansons du groupe suédois, ces débordements de joie comme des orgasmes presque douloureux. Les performances rythmées par les classiques disco camp sont d’intenses moments de communion au-delà d’un pacson de barrières, que ce soit dans un bar routier, au milieu du campement d’une communauté aborigène ou sur la scène d’un casino à Alice Springs.

Bernadette, qui a fait sa transition, aura le droit de trouver l’amour auprès de Bob, vieux mécanicien rencontré sur la route. La vulnérabilité des hommes, leurs liens d’amitié qui n’excluent pas les femmes, c’est tout ce qu’on est ravi de voir ici. Et tout finit bien pour chacun des personnages, comme dans un épisode de Friends.

Cela dit, on ne va pas céder à une nostalgie faisandée en transformant la culture pop nineties en havre de paix et de tolérance. Si celle-ci s’achève sur les récifs de Woodstock 1999 c’est pour de bonnes raisons. Lorsqu’il s’agit de dépeindre Cynthia, la femme de Bob d’origine philippine, le film fonce tête baissée dans un racisme mâtiné de sexisme en la présentant comme une prostituée occasionnelle uniquement intéressée par l’argent (?) de son mari. Malgré cela et au regard des exigences de 2022, The Adventures of Priscilla, Queen of the Desert n’a pas trop à rougir. Il est temps d’exulter de nouveau au son de “Mamma Mia”, un des tubes les plus euphorisants et déstabilisants qui soient.